Des promotions contestées à la sécurité nationale aux États-Unis

Si Mike Pompeo est confirmé dans ses nouvelles fonctions par le Sénat, il deviendra le premier secrétaire d’État à avoir dirigé la CIA.
Photo: Saul Loeb Agence-France-Presse Si Mike Pompeo est confirmé dans ses nouvelles fonctions par le Sénat, il deviendra le premier secrétaire d’État à avoir dirigé la CIA.

Donald Trump a procédé cette semaine à un remaniement partiel de son équipe de sécurité nationale. Tandis que le manque d’autorité de Rex Tillerson laisse le département d’État exsangue, les nominations de Mike Pompeo à la tête de la diplomatie et de Gina Haspel à la direction de la CIA soulèvent des préoccupations.

«Je suis près d’obtenir l’équipe que je veux », a lancé Donald Trump quand il est apparu sur la pelouse de la Maison-Blanche pour expliquer le remaniement. Du reste, le Washington Post croit savoir que le président s’apprête à limoger aussi son conseiller pour la sécurité nationale, le général H. R. McMaster.

Cependant, il revient au Sénat d’approuver ou non les nominations de Mike Pompeo et de Gina Haspel. Or, leur promotion aux postes cruciaux de ministre des Affaires étrangères et de directeur de l’Agence centrale de renseignement suscite de nombreuses critiques.

Si Mike Pompeo était confirmé dans ses nouvelles fonctions par le Sénat, il serait en effet le premier secrétaire d’État à avoir dirigé la CIA. Il est d’autant plus proche des milieux du renseignement qu’il a siégé à la commission de la chambre chargée de superviser les agences d’espionnage.

Photo: Associated Press

De son côté, Gina Haspel est appelée à devenir la première femme à diriger la CIA, où elle commença sa carrière comme espionne. Mais elle est impliquée dans les fameux « sites noirs » de la CIA et dans la torture autorisée par le président George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Mme Haspel dirigeait l’un de ces sites en Thaïlande, où des membres présumés d’al-Qaïda subirent le supplice dit de la baignoire (ou simulacre de noyade). En 2002, elle contribua à rédiger la note de service ordonnant la destruction des vidéos des interrogatoires pratiqués sur le « site noir » en Thaïlande.

« Haspel serait une tache sur la démocratie américaine si le Sénat approuvait sa nomination », a déclaré au Devoir Andrew Bacevich, colonel à la retraite, professeur d’histoire diplomatique et militaire à l’Université de Boston, auteur d’ouvrages sur la politique étrangère américaine.

« Quant à Pompeo, c’est un faucon ultra ; à ses yeux, le monde est rempli de menaces et d’ennemis que les États-Unis doivent affronter », déplore Andrew Bacevich.

« Source d’inquiétude »

Pour sa part, une ancienne porte-parole du département d’État qui s’exprime auprès du Devoir sous couvert de l’anonymat estime que la nomination d’un patron de la CIA à la tête de la diplomatie est « une source d’inquiétude ».

« Au plus fort de la guerre froide, il y avait confusion entre les activités diplomatiques et celles de la CIA ; il faut donc qu’il y ait une répartition des rôles claire comme de l’eau de roche entre département d’État et CIA, il faut aussi que Pompeo comprenne bien la nécessité de cette séparation des fonctions et des personnels », ajoute-t-elle.

Au Sénat, les nominations de Mike Pompeo et de Gina Haspel seront évaluées par la Commission des affaires étrangères, dont l’approbation n’est pas acquise, surtout en ce qui concerne Gina Haspel, puisque les républicains n’ont qu’une majorité d’un siège à la commission et que certains d’entre eux soulèvent des objections.

Le libertarien Rand Paul, candidat à la présidence en 2016, est ainsi le premier membre républicain de ladite commission à annoncer qu’il votera contre les deux candidats. John McCain, lui, exprime des réserves à propos de Gina Haspel, mais il soutient Mike Pompeo, bien que le patron de la CIA ait, en tant que député, dénoncé la fermeture des « sites noirs » et la loi de 2015 qui interdit la torture des détenus et dont M. McCain est l’auteur.

Si la nomination de Mike Pompeo était approuvée par les républicains et les démocrates, comme lors de sa nomination à la CIA en janvier 2017, il prendrait les rênes d’un département d’État exsangue et démoralisé par une atmosphère délétère marquée par un ministre Tillerson incapable de s’affirmer face au président Trump, par le départ de nombreux diplomates et fonctionnaires de carrière, ainsi que par un objectif de réduction des effectifs de 8 % et du budget de 30 % en 2018 et 2019.

Selon Andrew Bacevich, la priorité de Mike Pompeo doit être de « définir la direction de la politique étrangère des États-Unis et tenir ce cap ».

Beaucoup à faire

L’ancienne cadre du département d’État interrogée par Le Devoir est d’accord pour dire qu’il y a beaucoup à faire au ministère. « Il y a urgence, le moral du personnel n’a jamais été aussi bas, la diplomatie américaine et le gouvernement Trump ont perdu un temps précieux », dit-elle.

Selon cette ancienne porte-parole du département d’État, la sécheresse avec laquelle M. Tillerson a été renvoyé reflète, de la part de Donald Trump, « une absence totale de respect, y compris envers la fonction même de secrétaire d’État ». Toujours selon elle, Mike Pompeo devra donc « éduquer le président » sur la nécessité de la diplomatie et sur le travail des diplomates au quotidien. Sur le fond, les États-Unis doivent « construire et reconstruire des alliances, y compris avec leurs amis les plus anciens ».

Au fil de sa carrière, le général James Mattis, aujourd’hui ministre de la Défense, a martelé que, malgré leur hyperpuissance militaire, les États-Unis doivent s’investir dans la réussite de la diplomatie. « Si le département d’État n’est pas financé à plein, je dois acheter plus de munitions », avait expliqué en 2013 le général, alors chef d’état-major interarmes, à un Congrès républicain déjà désireux de couper les vivres aux Affaires étrangères. En visite dans la zone de démarcation entre les deux Corées en octobre dernier, M. Mattis a souligné que le règlement des tensions entre Washington et Pyongyang passe par la diplomatie, pas par la guerre.

L’ancienne porte-parole du département d’État qui s’exprime auprès du Devoir pense que Donald Trump et Mike Pompeo doivent s’inspirer du général Mattis. « Si le président Trump se soucie vraiment de nos troupes, il lui faut déployer un grand effort diplomatique car, quand la diplomatie ne fonctionne pas, ce sont nos soldats qui en subissent les premières conséquences », observe-t-elle.

Mais Mike Pompeo n’est pas connu pour avoir la fibre diplomatique. La Corée du Nord et l’Iran figurent « parmi les menaces qu’il voit partout », dit Andrew Bacevich. Avant de devenir patron de la CIA, il a prôné le bombardement de l’Iran. « Pompeo s’est déclaré favorable à un changement de régime en Corée », note aussi le professeur Bacevich.

Le secrétaire d’État que Donald Trump a désigné est un interventionniste, au moment même où le président américain prépare une rencontre potentiellement historique avec son homologue nord-coréen.



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