Le démocrate Doug Jones défait Roy Moore en Alabama

Selon les résultats portant sur 100 % des bureaux de vote, le démocrate Doug Jones a obtenu 49,9 % des voix, contre 48,4 % pour Roy Moore, soit une différence de plus de 20 000 voix.
« Le coeur de cette élection s’est joué sur la dignité et le respect », a déclaré le vainqueur, un ancien procureur fédéral de 63 ans. « L’Alabama était à la croisée des chemins [...] Ce soir, vous avez emprunté le bon chemin », a-t-il lancé devant ses partisans à Birmingham, la plus grande ville de l’État.
Ce résultat survient à l’issue d’une campagne virulente qui a captivé l’Amérique et va priver le parti au pouvoir d’un précieux siège à la chambre haute du Congrès. Le revers est très personnel pour le président des États-Unis, qui avait appelé ses partisans à la loyauté au nom de la poursuite de son programme de réformes. Il a néanmoins salué la victoire du démocrate sur Twitter.
« Félicitations à Doug Jones pour cette victoire âprement disputée, mais une victoire est une victoire », a écrit M. Trump. « Les habitants de l’Alabama sont formidables, et les républicains auront une nouvelle chance de gagner ce siège très bientôt », a-t-il ajouté, le mandat de l’élu devant se terminer en 2020.
Moore s'accroche
Défait, le candidat Roy Moore a refusé de concéder la victoire, mardi soir, malgré les résultats annoncés par les médias américains et le dépouillement complet des voix.
« Quand le vote est si serré, ce n'est pas terminé », a-t-il dit dans une courte intervention devant ses partisans à Montgomery, après plusieurs heures d'attente. « Nous devons attendre un signe de Dieu », a-t-il poursuivi. Mais les médias américains étaient formels sur la victoire du démocrate.
L’élection a tout de même été extrêmement serrée alors que les électeurs sont allés voter dans la journée pour choisir entre un candidat républicain bien connu mais controversé et un démocrate qui espérait mettre fin à l’hégémonie républicaine dans cet État fermement conservateur.
La voie dorée vers l’élection du candidat du parti du président Trump semblait pourtant assurée dans cet État qui n’a porté à Washington aucun sénateur démocrate depuis 1990. Mais ce chemin tracé d’avance a vacillé pour M. Moore, ancien juge ultraconservateur visé par des allégations d’agressions sexuelles sur des mineures.
« Le pays nous regarde », a-t-il déclaré devant son bureau de vote, dans la commune rurale de Gallant. Il y est arrivé sur son cheval (prénommé Sassy) avec son épouse, Kayla. Pour sa part, M. Jones avait été accueilli par des applaudissements au bureau de vote. Il avait salué ses partisans et s’était dit optimiste quant à l’issue du scrutin.
« Moore s’est rendu au bureau de vote sur le mythe américain », après « avoir passé toute la campagne en complet », écrivait Robin Givhan dans le Washington Post, décrivant finement comment cette mise en scène théâtrale faisant appel à la psyché américaine profonde.

Selon les sondages de sortie des urnes, 45 % des électeurs de mardi considéraient tout de même ces allégations comme « fausses ». « Même avant ces allégations, c’était évident que cet homme était un candidat “faible” », affirme Rafael Jacob, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand. Il rappelle que M. Moore a laissé entendre que la Constitution américaine aurait pu se passer de tous les amendements après le 10e, ce qui inclut ceux concernant l’abolition de l’esclavage et les droits civiques des Afro-Américains.
Les opposants à M. Moore ont d’ailleurs retrouvé des vidéos où on le voit faire l’apologie de l’ère esclavagiste des États-Unis, « la dernière fois où l’Amérique a été grande ». Sa ferveur religieuse lui a fait d’autre part attribuer les attentats du 11-Septembre et la crise économique à des « fléaux divins », survenus pour punir une nation « moralement déviante ».
Cette foi bornée l’a aussi poussé à adopter des positions ultraconservatrices, notamment en matière d’avortement et d’homosexualité.
Le candidat démocrate Doug Jones était idéologiquement à l’autre extrême du spectre politique. Il restait à voir « s’il y [avait] assez d’électeurs républicains modérés prêts à se pincer le nez », analysait M. Jacob. Jones n’était pas « tellement fait sur mesure » par rapport à d’autres candidats qui auraient pu être plus près du spectre conservateur des républicains, a-t-il ajouté.
Pas de vrai gagnant
Les trois millions d’électeurs étaient donc appelés à trancher mardi. Toute la journée, les observateurs ont cherché à savoir si la parole des femmes réussirait à faire basculer l’Alabama. Le président affichait quant à lui un soutien indéfectible à son candidat, malgré les allégations. Tôt mardi matin, le président américain a invité sur Twitter les électeurs de l’Alabama à faire « le bon choix ».
La candidature du juge Moore a créé un casse-tête inextricable pour le parti au pouvoir. « Qu’il gagne ou qu’il perde, les républicains ont un problème. C’est une situation où tout le monde perd [«lose-lose »] » estimait quant à lui le spécialiste de la politique américaine Rafael Jacob.
Le gagnant prendra le siège auparavant détenu par le procureur général Jeff Sessions. Les républicains détiennent une faible majorité au Sénat ; ils sont 52, contre 48 démocrates.
À l’élection présidentielle de 2016, Donald Trump avait remporté l’État par une marge de 28 points de pourcentage, et il y demeure populaire.