Des médias interdits à la Maison-Blanche

Sale temps pour le journalisme. Coup sur coup, vendredi, le nouveau gouvernement américain s’est encore plus acharné contre les médias.
La première charge est venue du président lui-même.
Donald Trump a profité de son allocution matinale devant une réunion nationale de partisans conservateurs pour reformuler sa critique des médias, réputés colporteurs de fausses nouvelles, en ajoutant cette fois que le recours aux sources anonymes devrait être interdit. La veille, jeudi, le président diffusait un tweet demandant à la police fédérale (FBI) de débusquer les responsables de fuites anonymes qui s’activent en son sein.
La seconde salve a suivi en après-midi, quand plusieurs journalistes se sont vu refuser l’accès à un breffage de presse de la Maison-Blanche. Il s’agissait d’une mêlée moins protocolaire que la traditionnelle conférence de presse.
Les reporters exclus viennent de grands médias traditionnels, des journaux (New York Times, Los Angeles Times), d’une chaîne d’information continue (CNN) et d’un nouveau média en ligne (Politico).
Ces nouvelles attaques suscitent de vives réactions de la part du secteur touché, surtout le boycottage des correspondants. « Rien de semblable n’est jamais arrivé [et] nous protestons vivement contre cette exclusion », a commenté l’éditeur du New York Times, Dean Baquet.
Par solidarité, l’agence Associated Press et le magazine Time ont refusé de participer à la réunion exclusive. L’Association des correspondants auprès de la Maison-Blanche a aussi dénoncé le blocage imposé par le bureau du secrétaire de presse Sean Spicer.
Le Washington Post a résumé la situation du jour en disant que Donald Trump est « totalement obsédé par les médias ». La remarque accompagnait une transcription annotée du discours du matin mettant encore en évidence des erreurs, des incongruités, de l’esbroufe et des mensonges du président.
Les ennemis du peuple
M. Trump s’adressait à des centaines de partisans conservateurs entassés dans un centre de conférence du Maryland pour la Conservative Political Action Conference (CPAC). Il s’agissait d’une première présence pour un président du pays à ce rendez-vous politique annuel de la droite depuis un discours livré par Ronald Reagan en 1982. Le nouvel élu a toutefois promis d’y revenir.
« [Les journalistes] ne devraient pas avoir le droit d’utiliser des sources à moins de les nommer », a dit Donald Trump en ouverture de son allocution. Il a ajouté que les médias qui utilisent ce stratagème de l’anonymat sont des « ennemis du peuple », formule de plus en plus courante dans son camp.
« Ils n’ont pas de sources, a poursuivi le président. Ils en inventent quand ils n’en ont pas. Je veux que vous sachiez tous que nous combattons les fausses nouvelles. C’est faux [fake], c’est bidon [phony], c’est faux. »
Le président a été reçu en héros. La foule, très majoritairement blanche et fortement masculine, s’est levée à plusieurs reprises pour ovationner certaines de ses remarques. Quand Donald Trump a évoqué son adversaire à la présidentielle Hillary Clinton, plusieurs ont de nouveau demandé de la poursuivre en justice et de l’emprisonner (« Lock her up ! »).
Le président Trump a livré un discours vitriolique contre ses ennemis réels ou présumés, tout en affirmant avec une ferveur quasi insolente son assurance de mener à bien son programme politique.
Il a réaffirmé sa volonté de construire un mur à la frontière mexicaine, de démanteler la réforme santé de l’Obamacare, de déréglementer les affaires et d’investir dans le militaire et le sécuritaire.
Ça coule de source (journalistique)
L’introduction du plus prestigieux conférencier a été consacrée à cette nouvelle charge contre les médias. Sa sortie contre les sources anonymes se veut visiblement une réplique aux reportages de plusieurs médias traditionnels qui ont relayé des informations fournies par des personnes non identifiées publiquement — notamment en provenance des services secrets et de la police fédérale, mais aussi de la Maison-Blanche elle-même.
Un des reportages les plus dommageables pour le nouveau gouvernement, qui a été diffusé par le Washington Post, citait neuf sources secrètes pour affirmer que le conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, avait discuté de la possibilité de lever des sanctions contre la Russie avec l’ambassadeur de Moscou à Washington. M. Flynn a ensuite donné sa démission.
« Il y a neuf personnes, a dit M. Trump dans son discours, sans dire qu’il faisait référence à cette histoire précisément. Je ne crois pas qu’il y avait une ou deux personnes. Neuf personnes. Alors, je dis : “Laissez-moi en paix.” Parce que je connais les gens. Je sais à qui ils parlent. Il n’y avait pas neuf personnes. Mais ils disent neuf personnes. Alors, quelqu’un le lit et pense : “Oh, neuf personnes?; ils ont neuf sources.” Ils ont inventé ces sources. Ce sont vraiment des personnes malhonnêtes. »
Les journalistes, surtout les équipes d’enquête, n’identifient pas certaines sources publiquement pour les protéger contre d’éventuelles représailles. Elles sont dites anonymes mais, dans les faits, leur identité est bien connue des journalistes.
La plus célèbre enquête journalistique du XXe siècle, celle du Watergate, utilisait une source anonyme et essentielle baptisée Gorge profonde. Dans certains pays, les lanceurs d’alertes jouissent même de protections légales. Une commission d’enquête publique se penche sur la question de la protection des sources journalistiques en ce moment au Québec.