

Des militants pur jus de Bernie Sanders dans Brooklyn au fief de Hillary Clinton dans Harlem, en passant par les jeunes...
Chez Sylvia’s, la mecque du soul food sise sur le boulevard Malcolm X, au coeur de Harlem, les murs sont tapissés de photos de politiciens. Normal, le diner est un passage obligé pour tous les candidats qui courtisent les électeurs du quartier. « Vous avez vu nos cadres ? demande la caissière au moment de facturer l’assiette de gaufres et de poulet frit. On en a un avec Bill Clinton ! »
C’est que celui que l’écrivaine afro-américaine Toni Morrison a surnommé le « premier président noir » des États-Unis jouit encore d’une popularité immense dans Harlem. Le fait qu’il y ait installé ses bureaux après sa présidence, sur le boulevard Martin Luther King, ne lui a certainement pas nui.
Et à l’ancienne première dame non plus, pour qui le nom « Clinton » ne peut être qu’un atout dans cette communauté. « Je suis une grande fan de Hillary », confie Carla Wrighte, une Noire de 38 ans qui habite et travaille dans Harlem pour le gouvernement de l’État. « C’est une femme, on connaît les Clinton et j’approuve les politiques de Bill. J’ai confiance qu’elle poursuivra son oeuvre, avec ses nuances à elle. »
Au local électoral de « Hillary » dans Harlem, Kathleen McCadden, une Noire de 30 ans originaire de Virginie, porte fièrement son t-shirt « I miss Bill ». « Nous l’adorons ! lance-t-elle en épinglant des affiches “ Hillary ” sur les murs du local. Et ce n’est pas juste parce qu’il joue du saxophone ! Il a du charisme, il serre les gens dans ses bras, il mange notre bouffe [le soul food], il vient de l’Arkansas [un État du Sud qui compte beaucoup d’Afro-Américains] et il a été le premier président à faire de réels efforts pour s’allier le caucus noir au Congrès. »
Et Hillary dans tout ça ? « Les gens savent qu’elle est proche de Bill et de ses politiques », répond Ny Whitake, une entrepreneure de Harlem âgée de 41 ans qui travaille pour la campagne de la démocrate. « Elle n’est pas Bill, elle a ses problèmes, elle n’est pas aussi chaleureuse et ne serre pas les gens dans ses bras, mais c’est O.K. »
Même si Hillary ne semble pas soulever le même enthousiasme que son mari dans la communauté, un récent sondage lui concède néanmoins les deux tiers des intentions de vote des Afro-Américains à travers l’Empire State, contre un tiers pour Bernie Sanders. Cette avance n’est pas aussi écrasante que dans les primaires du Sud, où Clinton a raflé en moyenne 73 % du vote noir, mais reste difficilement surmontable.
Ici, pas de mystère, selon Bill Perkins, l’un des rares politiciens locaux qui appuient Bernie Sanders. « Les Clinton sont implantés dans la ville de New York et auprès des personnes de couleur depuis longtemps. Mais… qui est Bernie ? Moi, je le connais, mais les gens de Harlem ne le connaissent pas ! C’est le nouveau joueur sur la scène. C’est dommage qu’il n’ait pas eu le temps de se familiariser avec le quartier », confie au Devoir le représentant de Harlem au Sénat de l’État de New York lors de l’ouverture du bureau de campagne de Sanders dans le quartier.
La machine politique de Harlem, qui a été pendant des décennies le centre nerveux de la black politics aux États-Unis, a perdu de son influence au fil des ans. N’empêche, Hillary Clinton et son mari ont longuement et patiemment cultivé leurs liens avec ses leaders. La « machine Clinton » est si forte qu’elle avait même réussi le tour de force d’obtenir la faveur de la machine politique de Harlem lors des primaires de 2008, alors que son opposant n’était nul autre que Barack Obama…
Aujourd’hui, l’ancienne sénatrice de New York conserve l’appui des bonzes locaux tels que le vieux routier et représentant au Congrès Charles Rangel, l’influent révérend Calvin O. Butts III, de l’Abyssinian Baptist Church, et la conseillère municipale Inez Dickens.
Lorsqu’on lui demande les raisons de son appui à l’ex-première dame, la conseillère Dickens répond tout de go qu’elle a derrière elle une longue histoire de collaboration avec « Hillary ». « J’ai connu Hillary Clinton en 1996 alors qu’elle était la première dame et qu’elle oeuvrait auprès des communautés qui n’avaient pas suffisamment de financement en éducation — comme bien des communautés de couleur. Clinton a ensuite été ma sénatrice à Washington [de 2001 à 2009]. Nous avons appris à nous connaître », explique-t-elle au Devoir.
Malgré le préjugé favorable dont elle jouit dans cette communauté, Hillary Clinton ne tient rien pour acquis. Les Afro-Américains, qui forment 13 % de l’électorat américain, représentent un appui crucial pour qui veut remporter les primaires démocrates et, ensuite, la Maison-Blanche.
Voilà pourquoi la candidate a notamment lancé sa campagne new-yorkaise dans Harlem au Apollo, une salle de spectacle mythique de la culture noire, et fait la tournée des églises noires de la ville. En mettant le problème du racisme au coeur de ses discours, elle martèle que son rival du Vermont a voté en 2005 pour une loi qui donne une quasi-immunité à l’industrie des armes à feu, une question très sensible dans la communauté noire.
Le camp Sanders, qui tente de faire une percée dans cet électorat, rétorque que l’ancienne première dame a été complice d’une loi sur le crime adoptée sous la présidence de son mari, en 1994, et qui revient aujourd’hui au coeur du débat électoral. Cette loi, qui a permis de mettre plus de policiers dans les rues et d’ériger plus de prisons, est jugée responsable de l’emprisonnement massif des Noirs par ses critiques.
Après des débuts tendus, la campagne de Bernie Sanders a aussi réchauffé ses liens avec Black Lives Matter, un groupe militant qui manifeste depuis 2013 contre le profilage racial et la violence policière contre les Afro-Américains.
Erica Garner, proche du groupe et fille d’un homme noir qui a été étranglé à mort par des policiers de New York en 2014, est d’ailleurs venue déclamer un vibrant plaidoyer en faveur de Sanders lors de l’ouverture de son bureau électoral dans Harlem. « Bernie n’est pas notre sauveur, mais il est le seul candidat qui n’a pas peur de s’en prendre aux politiciens racistes », a-t-elle lancé, avant de crier avec la foule « Bern ! Fire ! Bern ! Fire ! Bern ! Fire ! »
Selon Inez Dickens, il est possible que les plus jeunes au sein de la communauté noire soient séduits par le discours militant de Bernie Sanders, mais chez les plus âgés, la méfiance règne. « Ce n’est pas que la communauté afro-américaine soit à ce point enchantée par Hillary Clinton et qu’elle croie qu’elle a la solution à tous les problèmes, concède-t-elle. Mais ils ont peur du discours de Sanders, qui semble trop beau pour être vrai, et qui l’est généralement. »
Des militants pur jus de Bernie Sanders dans Brooklyn au fief de Hillary Clinton dans Harlem, en passant par les jeunes...
L’ex-sénatrice de New York tente de conserver son avance auprès de la communauté noire.
Jeunes, éduqués, new-yorkais et républicains. Et fiers de l’être.
Le Working Families Party veut faire triompher l’aile progressiste du Parti démocrate.