Le chantage du Tea Party - Un parti dans le parti

Le président de la Chambre des représentants, John Boehner, serait-il coincé par le Tea Party?
Photo: Agence France-Presse (photo) Alex Wong Le président de la Chambre des représentants, John Boehner, serait-il coincé par le Tea Party?

Le gouvernement américain est paralysé depuis une semaine par une nouvelle impasse dans la cohabitation entre démocrates et républicains. Le bras de fer autour de la loi de finances de la nouvelle année budgétaire qui a commencé mardi reflète l’influence du Tea Party et la radicalisation du Parti républicain qui l’abrite.

 

Les policiers qui ont arrêté jeudi la course folle d’une conductrice qui avait forcé l’enceinte de la Maison-Blanche ont agi sans la certitude de recevoir leur salaire.

 

Ces policiers engagés dans la course-poursuite qui s’est soldée par la mort de la jeune femme sont jugés « essentiels » aux activités de l’État durant sa fermeture à cause du désaccord budgétaire entre les démocrates et les républicains, qui contrôlent respectivement le Sénat et la Chambre des représentants.

 

Camille Cholst, une fonctionnaire, est aussi jugée essentielle par le gouvernement américain.  « Mais le chef de mon service et son supérieur ont été jugés non essentiels et sont en congé sans solde, le service technique aussi, ce qui fait que nous n’avons plus de soutien technique en cas de ratés des téléphones qu’on nous a installés récemment », indique-t-elle au Devoir.

 

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement américain ferme totalement ou en partie. Cette bizarre occurrence s’est produite pas moins de 17 fois depuis la fondation des États-Unis. Les deux dernières remontent à 1995 et 1996, quand Bill Clinton cohabitait avec un Parlement républicain et faisait le bras de fer avec Newt Gingrich, alors président de la Chambre. Camille Cholst a vécu les fermetures du gouvernement sous Bill Clinton. Mais la paralysie actuelle lui paraît très différente.

 

« On nous a prévenus que, contrairement à 1995-1996, les collègues en congé sans solde ne seront sans doute pas payés rétrospectivement. Or ça tombe avant les fêtes de Thanksgiving et de fin d’année et à un moment où les parents doivent aussi payer les droits de scolarité de leurs enfants. Donc, mes collègues en chômage technique me disent qu’il n’y aura pas de Noël dans leurs familles à cause de ça », raconte cette fonctionnaire.

 

Autre différence et de taille, observe-t-elle : « Newt Gingrich dirigeait un bloc républicain très uni tandis qu’aujourd’hui les républicains sont très divisés entre la vieille garde et les jeunes loups du Tea Party. On peut se demander si ces jeunes loups, qui ont été élus très récemment, en 2010 et 2012, ont assez d’expérience du gouvernement pour comprendre l’impact de leurs décisions. »

 

Une cible

La bataille autour de la loi de finances est fomentée et dirigée par des parlementaires issus ou proches du Tea Party. Notamment le sénateur Ted Cruz, un Texan de 42 ans né au Canada, qui a été élu en novembre grâce au soutien de la mouvance ultraconservatrice.

 

Dès son apparition sur la scène nationale pendant l’été 2009, le Tea Party a ciblé ce qui était alors le projet de réforme du système de santé de Barack Obama. Bien qu’adoptée par la Chambre et le Sénat en 2010 et prête à entrer en vigueur en janvier prochain, la réforme de la santé reste la bête noire du Tea Party. La mouvance lui reproche de rogner les libertés des Américains en leur imposant d’acheter une assurance-maladie sur le marché privé sous peine de taxe. Elle lui reproche également de risquer de grever les finances publiques et l’économie des États-Unis par les subventions étatiques qu’elle prévoit et les coûts qu’elle ferait porter aux particuliers et aux employeurs.

 

Cet automne, le Tea Party est revenu à la charge contre la réforme de la santé. Il a lié le sort de cette réforme à celui du budget. Il a ainsi soumis l’approbation de la loi de finances à l’abrogation de la réforme de la santé ou au report de son entrée en vigueur.

 

La Maison-Blanche et les démocrates accusent les républicains d’« irrationalité » et d’« irresponsabilité » et crient au chantage. Le président Obama accuse les républicains de paralyser le gouvernement et de compromettre ainsi la relance déjà hésitante de l’économie américaine. Il accuse aussi la direction du Parti républicain, en particulier le président de la Chambre, John Boehner, de céder aux « exigences idéologiques de l’extrême droite du parti ».

 

Certains républicains déplorent les diktats de leurs collègues du Tea Party et critiquent leur stratégie potentiellement suicidaire en vue des élections législatives partielles de 2014 puis des élections présidentielle et législatives de 2016. John McCain, ancien rival de M. Obama lors de la présidentielle de 2008, dénonce vivement le sénateur Cruz et ses amis à la Chambre. M. McCain et d’autres républicains rejoignent les démocrates quand ceux-ci estiment que la focalisation sur la réforme de la santé est « ridicule », étant donné que la réforme a force de loi et que les républicains n’ont pas la majorité nécessaire, ni à la Chambre ni au Sénat, pour l’abroger.

 

Un parti tiers

 

Mais le Tea Party est guidé par d’autres impératifs. Depuis le début, sa stratégie est celle d’un parti tiers qui, considérant le monopole des partis démocrate et républicain sur le pouvoir et souhaitant éviter l’écueil du bipartisme rigide qui sonna le glas d’autres mouvements dans l’histoire des États-Unis, a décidé de faire élire ses représentants sous l’étiquette républicaine ou de coopter des conservateurs du Parti républicain pour faire avancer son programme axé sur la réduction radicale du rôle de l’État.

 

L’audace du Tea Party s’est renforcée au fil de ses succès législatifs. En 2010, il réussit à supprimer toute idée d’assurance publique dans la réforme de la santé. En 2011, il obtint de faire accompagner le relèvement du plafond de la dette d’une baisse des dépenses publiques. Il y a quelques mois, la mouvance a joué un rôle crucial dans la cure d’austérité imposée au gouvernement.

 

Encouragé par les concessions de la Maison-Blanche, de la direction du Parti démocrate au Sénat et par la couardise des vieux loups du Parti républicain, le Tea Party bénéficie aussi du charcutage électoral que les partis démocrate et républicain ont effectué en 2010 et 2011. La carte a été si charcutée que les circonscriptions républicaines et démocrates sont beaucoup plus radicales que lors de la dernière paralysie du gouvernement, en 1996.

 

Selon David Wasserman, fin analyste de la Chambre des représentants au Cook Political Report, 79 des 236 députés républicains en exercice en 1996 résidaient dans des circonscriptions que Bill Clinton avait remportées face à George Bush père en 1992. Aujourd’hui, seulement 17 des 232 républicains de la Chambre représentent des circonscriptions où Barack Obama a gagné en 2012.

 

Le député de la Floride Ted Yoho, l’un des 30 à 40 élus du Tea Party qui orchestrent le bras de fer sur le budget à la Chambre, est ainsi issu d’une circonscription qui a été charcutée pour la rendre encore plus conservatrice qu’auparavant. En novembre, ce vétérinaire allergique à une meilleure couverture médicale des êtres humains a dégommé le député sortant, qui était pourtant soutenu par des collègues proches du Tea Party, comme Michèle Bachman et Paul Ryan. Cette semaine, Ted Yoho a expliqué que, déjà très à droite, il est tiré encore plus vers l’extrême par les militants de sa circonscription : « Je représente une région très conservatrice et mes électeurs me disent :“Ne vous dégonflez pas ! Ne reculez pas !” »

 

Du coup, ces électeurs et leurs élus ultraconservateurs, voire extrémistes, jouissent d’une influence démesurée sur la conduite des affaires du pays et parviennent même à paralyser le gouvernement.

 

« Tout ça, c’est de la politique politicienne. Malheureusement, ça se fait au détriment de gens impuissants, déplore Camille Cholst. Je me sens impuissante, car, certes, je peux appeler des députés, leur envoyer un courriel, mais ils s’en fichent éperdument ! »

 

Camille Cholst se définit politiquement comme « ce qu’on appelle ici une “Clinton Republican”, soit une républicaine de centre droit ». « Il m’est arrivé de voter républicain dans le passé ; pas tout le temps, mais plusieurs fois », explique-t-elle.

 

Mais désormais, Mme Cholst fait partie de ces nombreux républicains modérés et électeurs indépendants qui pensent sérieusement à déserter le Parti républicain de manière permanente. « La seule façon pour moi de faire quelque chose dans la situation qu’on vit, c’est de voter la prochaine fois contre le Tea Party, et ça veut dire contre le Parti républicain », déclare cette fonctionnaire.

 

 

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