Endettement étudiant : une bombe à retardement aux États-Unis

Aux États-Unis, modèle souvent évoqué par ceux qui veulent augmenter les droits de scolarité, l’endettement des étudiants est en train de devenir une bombe à retardement sociale et financière.
Le total des dettes contractées pour financer des études a récemment dépassé le millier de milliards de dollars (one trillion en anglais). Au même moment, Barack Obama lançait sa campagne en abordant le sujet dans les universités.
On commence à parler d’une bulle comparable à celle des subprimes, ces prêts hypothécaires à risque, dont l’éclatement avait plongé les États-Unis et le monde dans une grave récession en 2008. Plus du tiers des dettes d’étudiants sont « titrisées », c’est-à-dire regroupées puis cédées à des investisseurs sous forme de produits dérivés. Il y a pour 400 milliards de dollars de SLABS en circulation chez nos voisins du Sud : il s’agit de papiers commerciaux appuyés sur des actifs (PCAA), en l’occurrence des prêts étudiants.
L’endettement pour les études figurait parmi les préoccupations des jeunes qui ont occupé le parc Zuccotti à New York l’automne dernier. Certains ont mis sur pied un site Internet appelé occupystudentdebtcampaign.org et lancé une campagne de désobéissance… financière pour les étudiants endettés jusqu’au cou. Les signataires s’engagent à cesser tout paiement sur leurs dettes dès que leur nombre aura atteint le million. Si ce « Loan Refusal Pledge » n’a reçu que quelques milliers de signatures, une autre pétition en ligne, qui réclame en des termes plus conciliants l’annulation d’une bonne partie des dettes étudiantes, en a recueilli plus de 722 000. Les adhérents à l’Occupy Student Debt Campaign réclament aussi des fonds publics pour l’éducation supérieure, des prêts sans intérêt et l’obligation pour les institutions privées de publier leurs états financiers.
L’endettement s’est emballé, quintuplant en douze ans. À l’heure actuelle, la dette moyenne d’un étudiant américain s’élève à plus de 25 000 $. Comme le taux de chômage chez les diplômés de moins de 24 ans dépasse 15 %, les jeunes étudient plus longtemps dans l’espoir de trouver un emploi, qui n’est pas toujours au rendez-vous. Premier cercle vicieux. « Même si le marché du travail allait bien, il serait immoral de forcer ainsi les étudiants à financer leur éducation. Dans un marché du travail comme celui que nous avons actuellement, c’est totalement injustifiable », dit Andrew Ross, professeur d’analyse sociale et culturelle à la New York University.
« Nous devons rendre l’éducation collégiale accessible pour nos jeunes. C’est aussi simple que ça », a déclaré Barack Obama en Caroline du Nord. Le fait est que l’éducation postsecondaire devient de moins en moins abordable depuis trente ans, surtout parce que les États ont réduit de façon draconienne leurs subventions aux collèges et aux universités.
Familles pauvres
Les universités d’État, qui offraient presque gratuitement une éducation supérieure de qualité il y a trente ans, exigent aujourd’hui des droits qui s’approchent de ceux des universités privées. Il en coûte un minimum de 13 392 $ par année pour étudier à Berkeley, sans compter les frais afférents. « Cela devient tout à fait inabordable pour les familles pauvres, qui se tournent vers les universités à but lucratif [à ne pas confondre avec les universités privées à but non lucratif dont la liste comprend les plus prestigieuses, comme Harvard et Columbia], où le taux de diplomation est très bas et où 95 % des étudiants sont endettés, comparativement à 60 % pour l’ensemble des universités américaines », déplore Andrew Ross.
« Les collèges et les universités n’ont pas d’incitation à contrôler leurs coûts puisque n’importe quel individu motivé peut obtenir un prêt étudiant », observe Robert Applebaum. Deuxième cercle vicieux. Cet avocat de 37 ans a obtenu son diplôme moyennant une dette de 65 000 $, qu’il se dit capable de rembourser, contrairement à tant d’autres. En 2009, il a créé forgivestudentloandebt.com, un mouvement qui propose l’annulation de la plupart des dettes étudiantes. M. Applebaum a travaillé avec le représentant démocrate du Michigan, Hansen Clarke, à la rédaction d’un projet de loi qui prévoit l’annulation des dettes pour les étudiants qui ont consacré pendant dix ans 10 % de leur revenu net à leur remboursement. « Le projet leur donne une seconde chance. [et] il dégagera des ressources pour relancer l’emploi », a écrit M. Clarke dans un communiqué. Les chances que ce projet de loi soit adopté sont minces. « Depuis des années, les pressions exercées pour réformer le système ont toutes échoué. Notre mouvement [occupystudentdebt.org] ne vise pas à faire pression sur les élus actuels », observe Andrew Ross.
« Nous avons décidé au xxe siècle qu’une éducation secondaire était un préalable à l’existence d’une classe moyenne et qu’elle devait être totalement subventionnée. Au xxie siècle, c’est un diplôme universitaire qui est devenu le préalable: si nous voulons avoir une classe moyenne, il faudra financer adéquatement l’éducation supérieure. Sinon, tout ce que nous aurons, ce seront des citoyens très lourdement endettés », poursuit l’universitaire.
L’endettement des étudiants pourrait devenir un enjeu électoral important dans la mesure où les candidats auront besoin du vote des jeunes pour l’emporter. Les sondages indiquent qu’Obama garde la faveur d’une nette majorité d’étudiants. En octobre dernier, il a proposé d’avancer l’entrée en vigueur d’une loi qui réduit le versement minimum exigé pour le remboursement des prêts. « Ces mesures ne s’appliqueront qu’aux nouveaux emprunteurs et n’aideront en rien les millions d’Américains qui croulent déjà sous leurs dettes d’étudiants », croit cependant l’avocat Robert Applebaum.
Droit à la faillite
Au Sénat, un autre projet de loi vise à redonner à ceux qui se sont endettés pour étudier le droit de déclarer faillite, comme les autres emprunteurs. Enfin, le Congrès doit décider s’il prolongera le gel (à 3,4 %) des taux d’intérêt sur les prêts fédéraux. À défaut d’un vote positif, ils doubleront le 1er juillet. Environ sept millions de jeunes Américains verront le coût de leurs études supérieures augmenter d’environ 1000 $.
« On force les individus à contracter des dettes qu’ils ne pourront probablement jamais rembourser, dit Andrew Ross. Bien des gens profitent du système, à commencer par le gouvernement, car les taux d’intérêt sur les prêts fédéraux sont beaucoup plus élevés que ceux auxquels il emprunte de l’argent. » Les banques, qui détiennent la majeure partie des mille milliards de créances, imposent de leur côté leurs taux d’intérêt de façon discrétionnaire. « C’est une niche très lucrative », note Andrew Ross. « Nous parlons beaucoup du Québec et du Chili dans notre campagne, mais nous ne prévoyons pas de mouvement semblable aux États-Unis parce que nos étudiants, qui croulent sous les dettes depuis trente ans, ne sont plus en mesure d’exercer leur imagination politique », ajoute-t-il.