Guantánamo - Barack Obama n'a toujours pas fermé le camp de détenus

Washington — Deux anniversaires seront atteints, mais certainement pas célébrés, en ce mois de janvier 2011 au camp de Guantánamo. Le 11 janvier, le «camp du non-droit», où les États-Unis détiennent sans jugement des suspects de terrorisme, entrera dans sa dixième année: les 20 premiers prisonniers étaient arrivés le 11 janvier 2002 sur cette base de l'armée américaine à Cuba, partiellement reconvertie en camp de détention. Le 22 janvier 2011, cela fera aussi deux ans que Barack Obama a promis de fermer ce camp... dans l'année. Cette promesse de campagne n'a pas été tenue et rien n'indique même qu'elle pourra l'être d'ici à la prochaine présidentielle de 2012.
La fermeture de Guantánamo «prendra sans doute un certain temps», a dû avouer récemment le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs. 174 prisonniers sont encore détenus dans ce camp de haute sécurité, parmi lesquels trois seulement ont été jugés et condamnés. L'administration Obama n'a pas eu «la volonté politique» suffisante pour mettre en oeuvre sa promesse de fermer Guantánamo, regrette le professeur William Quigley, professeur de droit à l'université Loyola, à Nouvelle-Orléans. «La promesse de fermer Guantánamo a été sacrifiée pour poursuivre d'autres objectifs politiques jugés plus importants, comme la réforme de la santé par exemple, déplore cet expert, également directeur juridique du Centre pour les droits constitutionnels. Les détenus de Guantánamo n'ont pas de puissant lobby à Washington et d'une façon générale, les questions des droits de l'homme et du droit international ne sont pas jugées aussi importantes que les questions de politique intérieure.»«Valeurs»
Lors de sa dernière conférence de presse de l'année, en décembre, Barack Obama a assuré être toujours soucieux de fermer le camp, dans l'intérêt même de la sécurité des États-Unis. «Guantánamo est peut-être le meilleur des arguments de recrutement utilisé par les organisations jihadistes, a plaidé le président. Nous le voyons sur leurs sites internet ou dans les messages qu'ils font passer.» Mais trouver l'équilibre entre «sécurité» et «respect de nos valeurs» n'est «pas une tâche facile», a reconnu Obama.
Les pays étrangers vers lesquels les États-Unis comptaient renvoyer certains prisonniers jugés «libérables» n'ont accepté d'accueillir les détenus qu'au compte-gouttes. Parmi les 600 anciens prisonniers qui ont été relâchés depuis 2002, au moins 150 ont renoué avec le terrorisme, estime le bureau du DNI (Director of National Intelligence) qui coordonne les services de renseignement américain: un taux de récidive particulièrement élevé qui a aussi freiné les ardeurs de l'administration Obama. En décembre 2009, la Maison-Blanche avait annoncé une autre possible «solution»: le rachat d'une prison inutilisée dans l'Illinois qui pourrait accueillir certains des détenus. Mais un an plus tard, le gouvernement américain n'a toujours pas réuni les fonds pour l'acquérir. En décembre, lors de ses tout derniers jours de session, le Congrès sortant, qui était encore à majorité démocrate, a même voté une loi de finances interdisant au ministère de la Défense l'usage de fonds fédéraux pour acheter cette prison ou transférer des prisonniers de Guantánamo aux États-Unis, ne serait-ce que pour y être jugés.
À compter de demain, Obama aura face à lui une Chambre des représentants à nouvelle majorité républicaine, encore moins disposée à l'aider. Assurant travailler malgré tout à la fermeture du camp, la Maison Blanche a fait savoir qu'elle prépare maintenant un décret présidentiel permettant de prolonger indéfiniment la détention sans jugement de certains des détenus à Guantánamo, tout en réexaminant régulièrement leurs dossiers. Sur les 174 détenus actuels, 48 pourraient être concernés par ce décret, a expliqué Washington: ils sont considérés comme trop dangereux pour être libérés mais ne peuvent être jugés, faute de charges formelles, certains éléments contre eux ayant été recueillis sous la torture. «Si les dossiers de ces détenus sont périodiquement réexaminés et s'ils sont dotés d'avocats, ce serait bien sûr un progrès, mais ce n'est certainement pas la solution, souligne Laura Pitter, de l'organisation Human Rights Watch. La solution, c'est que les prisonniers de Guantánamo doivent être soit jugés devant des tribunaux civils, soit libérés.»
«Légalisme»
Depuis la création du camp, en janvier 2002, les tribunaux civils américains ont jugé plus de 400 accusés pour des questions de terrorisme, rappelle cette experte de Human Rights Watch. Ce décret présidentiel sur lequel travaille actuellement la Maison-Blanche équivaudrait à «mettre du parfum sur un cochon», prévient aussi le professeur William Quigley: «Ce serait une façon élégante de recouvrir d'une fine couche de légalisme des détentions qui restent totalement illégales et contraires aux droits de l'homme. Cela serait plutôt un signe que l'administration cède face à ceux qui agitent la peur.»