Présidentielles américaines - Barack Obama à la tête d'un parti divisé et difficile à diriger

Washington — Désormais seul candidat démocrate à la présidence des États-Unis et bientôt intronisé comme tel par le congrès qui se tiendra à Denver le mois prochain, Barack Obama devient le chef du Parti démocrate américain. Mais le jeune sénateur est encore loin de contrôler un parti complexe.
Barack Obama a annoncé cette semaine qu'il prononcera son discours d'investiture hors des murs où se tiendra le congrès du Parti démocrate à la fin d'août. Au lieu de s'exprimer devant les 20 000 délégués à la convention, il entend prendre la parole dans le stade de football américain de Denver, une enceinte découverte qui peut abriter plus de 80 000 spectateurs.La décision de Barack Obama est emblématique de ce candidat du «changement». En ouvrant l'événement de son investiture au grand public, le jeune sénateur de l'Illinois rompt avec la tradition qui veut que, bien que retransmise à la télévision, l'intronisation du candidat officiel soit avant tout l'affaire du parti. En même temps, Barack Obama accentue sa référence à l'autre candidat du changement que fut John Kennedy puisqu'en 1960, le jeune sénateur du Massachusetts fut le premier homme politique américain à accepter l'investiture d'un parti dans un stade, un lieu encore plus vaste que le stade de Denver car le Coliseum de Los Angeles permettait au futur président Kennedy d'être applaudi par environ 100 000 personnes.
Jules Whitcover, historien du Parti démocrate et auteur du livre Party of the People: A History of the Democrats (Random House, 2003), a indiqué au Devoir qu'il «n'interprète pas le choix d'un stade par Barack Obama comme une tentative d'imiter Kennedy». «Il s'agit plutôt de générer le mouvement de masse qui a été si réussi par Obama durant les scrutins primaires», dit-il.
Whitcover voit toutefois l'apparition du candidat à la Maison-Blanche dans un stade d'un mauvais oeil. «Sa décision à propos du stade survient à un moment où il renonce au financement public pour alimenter sa campagne uniquement avec des fonds privés et il me semble que préférer un stade qui va coûter cher au forum du congrès crée l'impression qu'il n'y a pas de limite en ce qui concerne la candidature Obama, explique-t-il. Cela met l'accent sur l'aspect show-business de la politique alors qu'Obama a maintenant besoin de communiquer de la substance et du sérieux», poursuit l'auteur, avant de souligner qu'«Obama est désormais considéré comme une "rock star"» et qu'il peut être «dangereux de transformer le congrès en concert rock».
Une nouvelle ère
Après l'échec de Hillary Clinton lors des primaires, le Parti démocrate «semble entamer une nouvelle ère», estime Jules Whitcover. Dominé depuis 1992 par Bill Clinton, le parti se dote d'un nouveau chef de file avec celui qui aspire à suivre les pas de l'ancien président et à devenir le chef de la Maison-Blanche.
Cependant, Barack Obama hérite d'une formation qui est une coalition de factions. Selon le centre de recherche Pew de Washington, le Parti démocrate est composé des progressistes, des conservateurs (ou démocrates sudistes), des centristes issus du Democratic Leadership Council de Bill Clinton, des tenants de la fameuse «troisième voie» et de factions plus réduites, telles que les libertariens.
Jules Whitcover note que l'ascension de Barack Obama couronne celle des progressistes entamée depuis la fin de la présidence Clinton, tandis que les conservateurs, dont beaucoup avaient voté pour le républicain Ronald Reagan dans les années 80, «sont rentrés dans le rang, en grande partie parce qu'ils ont George Bush en horreur absolue».
Mais la domination des progressistes au sein du parti ne signifie pas la déconfiture des centristes clintoniens. En effet, le Parti démocrate, bien que composé majoritairement de progressistes aujourd'hui, est moins progressiste qu'il y a 10 ans. Pourquoi? «À cause de la diabolisation réussie du progressisme à laquelle on assiste aux États-Unis depuis les années 70 et Richard Nixon, et aussi parce que l'aile gauche du Parti démocrate a été marginalisée par la capacité de George Bush de continuer une guerre en Irak que la plupart des Américains veulent pourtant voir se terminer, explique Jules Whitcover. Le centrisme n'est pas du tout fini au sein du Parti démocrate et la preuve en est qu'Obama joue de plus en plus vers le centre.»
Barack Obama hérite donc d'un parti complexe, divisé et difficile à diriger, voire à mener à la victoire aux élections présidentielles et législatives, que la prolongation de la guerre en Irak et le ralentissement de l'économie devraient pourtant offrir sur un plateau aux démocrates.
La personnalité et le programme de Barack Obama augmentent la difficulté en suscitant des sentiments mitigés au sein même de son parti. Sa candidature divise depuis des mois les démocrates, comme le bras de fer qu'il a dû livrer à Hillary Clinton l'a montré. Les divisions s'immiscent même dans de nombreux couples de démocrates aguerris, tels que celui formé par Jesse Jackson et sa femme Jacqueline. Si le pasteur noir soutient Barack Obama, son épouse est une partisane fidèle de Hillary Clinton. Du reste, Jesse Jackson est loin d'être un inconditionnel de Barack Obama puisque, lors d'un échange mercredi avec un animateur de la chaîne de télévision Fox au cours duquel il ne pensait pas être à l'antenne, le pasteur a accusé Barack Obama de condescendance envers les Noirs, a estimé qu'il devrait parler davantage de la pauvreté et des autres problèmes des Noirs, et a même indiqué qu'il voudrait bien lui «couper les couilles».
Défection
Les sondages d'opinion indiquent de leur côté qu'environ 25 % des électeurs ayant choisi Hillary Clinton aux primaires ont l'intention de ne pas voter ou de voter pour le républicain John McCain le 4 novembre. Camille Choltz n'est pas de ceux-là, mais le suffrage qu'elle apportera à Barack Obama sera exprimé sans enthousiasme.
Féministe, fonctionnaire, mariée et mère de deux adolescents, Camille Cholst a voté pour Hillary lors de la primaire à Washington et pense que Barack n'est pas le candidat de la situation pour présider les États-Unis. «Barack Obama est intelligent et beau gosse, mais j'ai du mal à le concevoir en train de gouverner, a déclaré au Devoir cette électrice démocrate. Obama est un jeune homme qui n'a pratiquement aucune expérience. Personne ne nie qu'il soit charismatique, mais pour moi qui ai vécu la "révolution" de Jimmy Carter après les dernières années si pénibles de Richard Nixon, je sais qu'il en faut beaucoup plus pour gouverner, surtout que nous sommes en guerre et que notre économie ralentit», ajoute-t-elle.
Cette démocrate, qui votera pour Barack Obama uniquement pour empêcher un président McCain de faire pencher la Cour suprême encore plus à droite qu'elle ne l'est, a même du ressentiment envers Barack Obama, qu'elle considère comme la Némésis de Madame Clinton. «Je n'aime pas Obama parce que, pour la première fois dans l'histoire du pays, on avait la possibilité d'élire une femme compétente, de la génération la plus "dure", celle de la libération sexuelle et de l'entrée en masse des femmes sur le marché du travail; ces femmes en ont beaucoup bavé et, pour moi, Hillary Clinton était quelqu'un avec qui je pouvais m'identifier, une femme qui a vécu des choses que j'ai vécues, même si, personnellement, je n'ai aucune affection particulière pour elle», explique Camille Cholst.
Le ressentiment avec lequel Barack Obama doit composer au sein de son propre parti a aussi trait au mécontentement général des Américains envers leur classe politique. «Je suis inscrite sur les listes électorales en tant que démocrate, mais je me considère comme une indépendante; j'avais même voté pour Ross Perot [en 1992] rien que pour le remercier d'avoir offert une solution de rechange aux partis républicain et démocrate, que je ne peux plus blairer», nous raconte Madame Cholst.
Cependant, l'espoir de Barack Obama est, précisément, de transformer le mécontentement à facettes multiples qu'il rencontre auprès des Américains en l'élément moteur qui le mènera à la présidence. Il tente de convaincre les désabusés du Parti démocrate, du Parti républicain et du bipartisme de le rejoindre. Pendant les primaires, il a réussi dans cette entreprise en attirant des électeurs qui n'avaient jamais voté, des républicains baptisés «Obamacains» aux États-Unis, ainsi que des indépendants. Le défi est, pour lui, de renforcer cette dynamique d'ici novembre et de transformer l'essai en victoire.
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Collaboration spéciale