Primaires américaines - La presse américaine est accusée de céder à l'obamania

Quand Hillary rit, le New York Times écrit qu'elle «caquette» comme une poule. Le quotidien a même inventé un substantif: «le caquètement Clinton». Quand la candidate démocrate parle un peu fort, la presse a tendance à écrire qu'elle «hurle». Et quand elle expose son programme avec assurance, elle est décrite comme «froide».
La subjectivité des médias américains est subtile, mais avérée. En novembre, après qu'une étudiante a avoué qu'on lui avait demandé de poser une question préparée à Hillary Clinton pendant une réunion publique, la presse s'est acharnée sur la candidate. L'unique incident, qui est sans doute le fait d'un militant zélé, a été présenté par la plupart des journaux comme la preuve de son «caractère calculateur» — alors qu'elle n'a eu cesse de répondre à des centaines de questions spontanées du public.Bon oeil
Le parti pris des médias, favorable celui-là, à l'endroit de Barack Obama est encore plus évident. Une étude réalisée par le département de journalisme de l'Université de Harvard auprès de 48 médias différents (télévision, radio, journaux) a montré qu'au cours des cinq premiers mois de 2007, Obama avait été le sujet de trois fois plus d'articles et reportages favorables que les trois autres candidats les plus mentionnés. Seulement 16 % des reportages qui lui ont été consacrés étaient «négatifs», alors que tous les autres candidats, républicains et démocrates, encore nombreux en ce début de campagne, accumulaient au moins 50 % d'articles défavorables. Le bon oeil de la presse ne s'est pas démenti depuis. «Star démocrate», «charisme», «vision»: les journalistes commencent à être sérieusement à cours d'épithètes originaux pour encenser Barack Obama. Au point que certains ont commencé à lui donner un gentil sobriquet: «le Messie». Comme l'avouait récemment à l'antenne un journaliste de la chaîne NBC fasciné par le candidat: «C'est difficile d'être objectif quand on couvre ce type».
Dans la parodie d'un débat Clinton-Obama diffusée cette semaine à l'émission Saturday Night Live, des acteurs jouant le rôle de journalistes flagorneurs posent en tremblant des questions flatteuses à l'acteur incarnant Obama, tout en boudant une fausse Hillary Clinton désemparée. «Il est temps que les journalistes ne se contentent plus de donner objectivement les nouvelles, mais prennent position», enjoint le personnage jouant Obama... La vraie Hillary, dans le débat qui l'a opposée mardi au sénateur de l'Illinois, a renouvelé ses accusations de parti pris des médias à son égard. «Vous avez vu Saturday Night Live? [...] Peut-être qu'on devrait demander à Barack s'il a besoin d'un coussin supplémentaire?», a-t-elle suggéré en lever de rideau. Sa boutade a été mal accueillie par le public. Bill Clinton, qui a accusé en janvier les journalistes de ne pas faire leur travail d'enquête sur le passé d'Obama, n'avait pas suscité davantage d'échos.
Une bonne histoire
«Il n'y a pas beaucoup de journalistes qui décident délibérément de favoriser Obama, car l'éthique journalistique est suffisamment forte. Le vrai parti pris des journalistes réside dans le fait qu'ils veulent raconter une belle histoire, et l'élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis serait une superbe histoire», décrypte Evan Cornog, l'éditeur de la Revue de journalisme de l'université Columbia de New York. «L'histoire la plus poignante à raconter est celle de John McCain, qui a été prisonnier de guerre au Vietnam... Si Hillary devient la première femme présidente, c'est aussi un récit passionnant. Mais dans un pays qui a derrière lui une histoire raciste, l'élection d'Obama serait un tournant... Au fond, ajoute-t-il, les journalistes ont sans doute le même parti pris que les électeurs: ils veulent un changement. Hillary Clinton est l'épouse de Bill, et son élection serait ni plus ni moins un pas en arrière.» Pour Cornog, ce défaut d'objectivité est toutefois moins pro-Obama qu'anti-Hillary. «Tout le monde sait que les médias la cherchent.»
Le récit d'une rencontre entre un groupe de journalistes et Clinton, tel qu'il est relaté par un reporter du New York Post, est à cet égard éclairant. La scène se déroule début janvier, avant le caucus de l'Iowa. Hillary, qui boude généralement la presse américaine (et qui fuit la presse internationale, sans doute parce qu'elle lui est inutile), débarque inopinément dans l'autobus des journalistes «armée de gâteaux et de café», ostensiblement pour bavarder. L'entrevue est tendue au possible. Aussi tendue, dit un reporter, «qu'une rencontre avec une ex-petite amie». «Elle nous déteste à mort», réagit un journaliste soulagé de la voir partir. Derrière son dos, un autre suggère de vérifier s'il n'y a pas de lames de rasoir dans les pâtisseries.