Opération Bush en Irak

George W. Bush s’est fait abondamment photographier avec des militaires, hier, au cours d’une visite-surprise effectuée en sol irakien.
Photo: Agence Reuters George W. Bush s’est fait abondamment photographier avec des militaires, hier, au cours d’une visite-surprise effectuée en sol irakien.

Coup d'éclat d'un président empêtré dans un bourbier militaire de plus en plus coûteux et meurtrier, le commandant en chef des Forces armées américaines, George W. Bush, a effectué une visite-surprise en Irak hier, dans la province d'al-Anbar, emblématique pour la Maison-Blanche des «progrès» enregistrés. Il a d'ailleurs profité de l'occasion pour évoquer une possible réduction de troupes en cas de maintien de ces avancées. M. Bush, qui s'exprimait quelques jours avant que le général David Petraeus, commandant des forces américaines en Irak, et Ryan Crocker, l'ambassadeur des États-Unis à Bagdad, ne présentent au Congrès leur évaluation de la situation, n'a pas précisé l'importance, ni le calendrier d'une telle réduction.

«Le général Petraeus et l'ambassadeur Crocker me disent que si le type de succès que nous connaissons en ce moment [à al-Anbar] se maintient, ce sera possible d'assurer la même sécurité avec moins de troupes américaines», a simplement dit le président américain à la presse. M. Petraeus et M. Crocker présenteront, les 10 et 12 septembre au Congrès, leur évaluation, très attendue, de la situation. Ils se prononceront notamment sur l'envoi de près de 30 000 soldats supplémentaires et la stratégie de sécurisation de la capitale, décidés en février par M. Bush.

La Maison-Blanche doit aussi rendre compte de la situation au Congrès le 15 septembre pour convaincre les parlementaires de continuer à financer la guerre. Chose certaine, a assuré M. Bush au cours de sa visite éclair de six heures, les États-Unis n'abandonneront pas l'Irak. «L'Amérique n'abandonne pas ses amis, l'Amérique n'abandonnera pas le peuple irakien», a dit le président dans un discours adressé aux soldats et retransmis aux États-Unis par la télévision.

Il a du même coup mis en garde les membres du Congrès contre la tentation de tirer des conclusions hâtives. Devant des militaires sur la base d'al-Assad, le président Bush est d'ailleurs demeuré inflexible. Il a notamment souligné, à propos du nombre des troupes américaines en Irak, qu'une décision de réduction des effectifs «sera basée sur une évaluation sereine faite par la hiérarchie militaire sur les conditions sur le terrain, et non pas à partir de réactions politiciennes nerveuses à Washington à des sondages dans les médias».

«En d'autres termes, nous commencerons à retirer des troupes de l'Irak lorsque nous serons en position de force et de succès et non pas de faiblesse et de crainte», a ajouté M. Bush. Le président américain, qui effectuait une visite-surprise dans le pays, a également associé de nouveau les ennemis combattus en Irak à al-Qaïda. «Ceux que vous avez combattus aux côtés des Irakiens» dans la province d'al-Anbar «ont fait allégeance à l'homme qui a ordonné les attaques contre les États-Unis d'Amérique», a-t-il dit, évoquant les attentats du 11-Septembre.

Il a ainsi rejeté la pression des démocrates au Congrès pour un retrait des troupes. Ces derniers ne sont toutefois pas les seuls à douter fortement de la possibilité d'améliorer les choses en Irak. L'opinion publique américaine est elle aussi de plus en plus sceptique quant à cette guerre, qui a déjà provoqué la mort de plus de 3700 soldats américains et de dizaines de milliers d'Irakiens. Selon un sondage récent, une forte majorité d'entre eux (60 %) disent avoir perdu confiance en leur président depuis le début de la guerre.

Sans commenter directement cette visite, la candidate démocrate Hillary Clinton a promis d'entamer un retrait immédiat d'Irak si elle est élue en 2008. «La situation en Irak est trop grave pour une nouvelle opération de communication», a dénoncé de son côté le candidat démocrate John Edwards. «Lorsque le Congrès reprendra sa session, il va falloir être ferme: pas de délai, pas de financements. Pas d'excuses», a-t-il ajouté.

«Succès» américains

Accompagné de la secrétaire d'État, Condoleezza Rice, M. Bush est arrivé en début d'après-midi sur la base aérienne d'al-Assad, où l'attendaient le secrétaire à la Défense, Robert Gates, et de hauts responsables militaires. À 180 kilomètres à l'ouest de Bagdad, cette immense base américaine abrite 10 000 militaires américains et est protégée par un périmètre de sécurité de 27 kilomètres. Elle est au coeur de la province d'al-Anbar, un bastion de l'insurrection sunnite qui était autrefois l'un des théâtres d'opération les plus dangereux pour les G.I.

L'armée américaine y met en oeuvre depuis plusieurs mois une stratégie d'alliance avec les chefs tribaux locaux pour lutter contre la branche irakienne d'al-Qaïda, une tactique qui a permis d'enregistrer «de remarquables succès», selon le conseiller national à la sécurité, Stephen Hadley. M. Bush a lui aussi insisté sur les progrès enregistrés dans cette province. «Vous voyez que les sunnites, qui autrefois combattaient aux côtés d'al-Qaïda contre les troupes de la coalition, combattent désormais aux côtés de la coalition contre al-Qaïda», a-t-il affirmé.

Le président, Mme Rice et M. Gates se sont entretenus avec les principaux commandants militaires américains en poste en Irak. Ils ont aussi rencontré, dans cette base, plusieurs dirigeants irakiens, dont le premier ministre, Nouri al-Maliki, et les anciens de tribus de la province d'al-Anbar. «C'est bien une réunion du conseil de guerre», a dit Geoff Morrell, porte-parole du Pentagone. «Ce sera la dernière grande réunion des conseillers du président et des dirigeants irakiens avant que le président ne prenne une décision sur l'avenir [de sa stratégie irakienne]», a-t-il ajouté.

Toute cette opération a évidemment été orchestrée dans le plus grand secret. La Maison-Blanche a rejeté l'idée que ce voyage puisse être une opération de communication, insistant sur le fait que le président souhaitait rencontrer les responsables militaires sur le terrain. Sur les images diffusées aux États-Unis, George W. Bush a toutefois multiplié en Irak les prises de photo avec des militaires, posant avec des unités ou des membres d'une patrouille, casqués et portant des gilets pare-balles.

«L'idée d'une visite de Bush à al-Anbar a été conçue il y a six semaines dans le cadre de la réflexion du gouvernement sur la façon d'aborder le rapport imminent au Congrès sur les progrès de la guerre» en Irak, a par la suite expliqué le conseiller à la sécurité nationale, Stephen Hadley.

Retrait britannique

La visite du commandant en chef a coïncidé avec le retrait britannique de Bassorah, dans un contexte de brouille grandissante entre Londres et Washington. Près de 500 soldats britanniques ont quitté un palais qui leur servait de quartier général dans cette ville très majoritairement chiite, pour se replier vers une base aérienne fortifiée, à 25 kilomètres de l'agglomération, et ont rejoint 5000 militaires qui assurent l'entraînement des forces irakiennes.

Le nombre total des militaires britanniques en Irak doit passer de 5500 à environ 5000 d'ici fin 2007, et le gouvernement du premier ministre Gordon Brown est sous une pression croissante de son opinion publique pour accélérer leur départ. Londres espère pouvoir transférer dès l'automne aux Irakiens le contrôle de l'ensemble de la province de Bassorah, malgré les réserves exprimées par le Pentagone, inquiet de possibles violences entre milices chiites rivales.

Ce départ ne doit pas être considéré comme le signe d'une défaite, a affirmé le premier ministre Gordon Brown, rappelant que ce retrait était prévu depuis plusieurs mois. Les soldats britanniques restent disponibles pour aider leurs homologues irakiens «dans certaines circonstances», a-t-il ajouté. Il doit fixer la stratégie future de Londres en Irak dans un discours prononcé devant le Parlement le mois prochain.

«Nous quittons notre fonction combattante dans les quatre provinces dont nous avions la charge pour nous consacrer progressivement à une fonction de surveillance et de supervision», a expliqué M. Brown. «Nous pouvons nous consacrer à la formation [...]. Nous pouvons intervenir à nouveau en certaines circonstances. L'objectif ultime étant de remettre aux forces de sécurité irakiennes le contrôle exercé par l'armée britannique.»

Par ailleurs, Dominique de Villepin, ancien premier ministre français, a estimé hier que George W. Bush «se trompe depuis le début» et «persévère dans l'erreur» en envoyant davantage de soldats sur le terrain. «Je vois que George W. Bush est [...] dans une phase ascendante, il continue d'imaginer qu'en envoyant plus de soldats en Irak, il réussira à stabiliser ce pays. Force est de constater qu'il se trompe depuis le début et qu'il persévère dans l'erreur», a jugé Dominique de Villepin sur France-Info.

Avec l'Agence France-Presse, la BBC, Libération et Reuters

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