Retour à l'expéditeur

Intensification radicale de la lutte contre l'immigration illégale aux États-Unis depuis le début de 2006, signalant un durcissement notable de la Maison-Blanche devant cet épineux problème. Des clandestins ont été appréhendés en nombre sans précédent depuis le printemps dernier dans des entreprises qui les embauchaient illégalement pendant qu'à la frontière avec le Mexique, l'augmentation massive de patrouilleurs commence, avancent les autorités, à ralentir le flot des illégaux.
L'écheveau de l'immigration illégale peut-il être démêlé par de stricts moyens policiers? La question hante depuis au moins dix ans la classe politique aux États-Unis, où on évalue aujourd'hui le nombre de clandestins, en majorité des latinos, à 12 millions de personnes.Le secrétaire américain à la Sécurité intérieure, Michael Chertoff, veut croire que oui. Comparaissant fin février devant le Comité judiciaire du Sénat, il a fait état d'un nombre record d'arrestations d'immigrants (plus de 4300) en 2006, épinglés sur les lieux de leur travail alors qu'ils étaient en situation irrégulière. Une augmentation de 75 % par rapport à l'année précédente... «Mais nous avons été sérieusement handicapés par le manque de moyens», s'est-il plaint.
La comparution de M. Chertoff survenait après une série de rafles spectaculaires. En avril dernier, une compagnie de Houston était accusée d'abriter des illégaux: 1187 clandestins présumés ont été arrêtés. En décembre, un raid mené contre Swift & Co., une entreprise de transformation de viande qui a des succursales dans plusieurs États, a débouché sur l'arrestation de près de 1300 travailleurs en situation illégale.
Le mois dernier, des descentes effectuées dans 17 États dans des restaurants comme Hard Rock Cafe et Planet Hollywood ont donné lieu à l'arrestation de près de 200 clandestins à l'emploi d'une entreprise d'entretien basée en Floride. Trois dirigeants de l'entreprise ont été accusés d'évasion fiscale à hauteur de 18 millions $US — une somme, accuse la poursuite, avec laquelle ils se sont acheté des maisons, des bateaux et des chevaux de course — et d'avoir fourni de faux visas à des équipes d'entretien dans un hôtel du Michigan.
Ces rafles ont, par la bande, mis en exergue le phénomène croissant du vol d'identité, fondé sur l'utilisation frauduleuse de numéros d'assurance sociale. À Phoenix, des policiers en civil ont récemment été estomaqués de la facilité avec laquelle ils ont pu faire l'achat de plus d'un millier de faux documents. Sur la rue, on peut apparemment, pour la somme de 160 $, se procurer un «trio»: permis de conduire, cartes d'assurance sociale et de résident permanent.
Mais les coups de filet ont surtout mis en évidence un important revirement dans la politique du président George W. Bush depuis son arrivée au pouvoir, en 2001. Comme ses prédécesseurs, il aura eu tendance à fermer les yeux sur les entreprises qui confient des emplois à des illégaux, ceux-ci formant une main-d'oeuvre aussi abondante et essentielle que bon marché dans des secteurs de prédilection comme l'agriculture, les services et la construction.
Le poids économique des travailleurs clandestins est double: ils comblent aux États-Unis des emplois dont les Américains de souche ne veulent pas en même temps qu'ils renvoient à leurs familles restées au Mexique et en Amérique centrale une somme évaluée à quelque 20 milliards $US par année.
Le débat ne concerne pas que des États comme la Californie, l'Arizona et le Texas, relevait récemment l'hebdomadaire vermontois Seven Days. Au Vermont, on évalue que 2000 sans-papiers travaillent dans l'industrie laitière de l'État et que leur expulsion porterait un dur coup aux producteurs.
Frontière étanche?
La radicalisation de la Maison-Blanche a beau donner froid dans le dos à certains patrons, inquiets pour leur marge de profit, et semer la peur et la frustration au sein de la communauté hispanique, qui s'est répandue début 2006 en d'immenses manifestations devant le sort réservé depuis toujours aux illégaux qui vont faire tourner l'économie américaine, M. Chertoff était heureux de signaler, le mois dernier devant le Comité du Sénat, que l'ICE (U.S. Immigration and Customs Enforcement) avait battu «un record de tous les temps» en déportant l'année dernière 192 171 illégaux, «y compris 88 217 criminels», soit 13 % de plus que l'année précédente.
Une des principales opérations, baptisée «Retour à l'expéditeur», a été menée en juin dernier: en trois semaines, des agents fédéraux ont déporté plus de 2000 illégaux arrêtés dans 35 États. Parmi eux, disent les autorités, se trouvaient des centaines de membres de gangs.
Début 2006, le Congrès à majorité républicaine s'est déchiré autour d'une énième tentative de réforme de l'immigration, qui jouxtait pour la première fois un processus à long terme de régularisation du statut des travailleurs illégaux à un renforcement des contrôles frontaliers. Mais n'avaient été retenues, dans la version finale de la loi, que les mesures coercitives. Le débat sur l'immigration doit bientôt reprendre au Congrès, où les démocrates, plus enclins à trouver une façon de régulariser la situation des sans-papiers, détiennent maintenant la majorité.
Les organisations de défense des droits de la personne, qui désapprouvent la ligne dure du gouvernement américain, font état d'un autre record, établi en 2005: cette année-là, 473 migrants sont morts de soif ou de froid, voire parfois tués par les passeurs, en tentant de traverser la frontière.
Washington veut croire que la nouvelle addition de 6000 agents américains le long de la frontière (ils sont presque 15 000 à la patrouiller à l'heure actuelle), l'installation de systèmes hi-tech de détection de mouvements et l'ajout de centaines de kilomètres de clôtures vont durablement décourager les gens de passer. L'organisme gouvernemental dit en voir déjà certains signes.
Le nombre de passages illégaux est difficile à mesurer, pour d'évidentes raisons. Mais puisque le nombre de migrants interceptés a chuté de 27 % au cours des quatre derniers mois par rapport à la même période un an plus tôt, Homeland Security en déduit que moins d'illégaux tentent de traverser la frontière.
«Nous avons fait des progrès au chapitre du contrôle frontalier», se félicite M. Chertoff. Encore qu'il se faisait prudent lors d'une récente visite à Mexico: «Il faut aussi s'attendre à ce que les passeurs se tiennent plus tranquilles en attendant de voir si nous allons maintenir la pression.»
Mise en garde normale: traditionnellement, la fermeture d'un point de passage pousse les immigrants illégaux à emprunter de nouveaux itinéraires, plus dangereux. On ne peut pas non plus exclure que l'hiver relativement froid dans la région ralentisse provisoirement le nombre de passages.
Certains parmi les autorités policières et judiciaires américaines, notait The New York Times dans un reportage signé, fin février, depuis San Luis Río Colorado, dans le nord du Mexique, n'en commencent pas moins à penser qu'il n'est peut-être pas aussi impossible qu'on le dit de bloquer la frontière et d'endiguer l'immigration illégale.
Ainsi, le gouvernement fédéral a commencé à punir de prison les migrants dès la première fois qu'ils entrent illégalement aux États-Unis. Dans le cas des Mexicains, la règle consistait généralement à les ramener à la frontière et à les libérer. Le changement aurait eu un effet dissuasif immédiat