Réchauffement climatique - Le salut des États-Unis passe par les maires

Le centre-ville de Los Angeles voilé par le smog: une situation chronique.
Photo: Agence France-Presse (photo) Le centre-ville de Los Angeles voilé par le smog: une situation chronique.

Un vendredi matin de septembre à Santa Barbara, en Californie. Au bout d'un couloir du complexe hôtelier quatre étoiles Four Seasons, un joli patio et une salle de conférence. Plusieurs dizaines de personnes badgées discutent, s'aèrent, prennent un café. Si un groupe terroriste voulait agir là et maintenant, la quasi-totalité des têtes pensantes des plus grandes villes américaines disparaîtraient d'un coup.

Ce jour-là, la Conférence des maires des États-Unis tient congrès dans le plus grand secret. La réunion n'a pas été rendue publique. Les édiles les plus puissants sont présents. Un scooter à trois roues fait sensation auprès du maire d'une bourgade de Caroline du Nord. Il va pouvoir faire un tour, même s'il rechigne à mettre un casque. «Monsieur, c'est la loi, ici.» L'engin est en démonstration. Son constructeur l'a laissé à la disposition des maires qui souhaitent encourager le développement des deux-roues propres dans leur ville. Thème de la réunion: l'environnement.

Flash-back

Au mois de juin 2005, la Conférence annonce que 168 maires de 37 États différents s'engagent à appliquer dans leur ville le protocole de Kyoto, que le président des États-Unis refuse de ratifier. Le US Mayors Climate Protection Agreement (l'Accord des maires des États-Unis sur la protection du climat) a été adopté à l'unanimité. Sur cinq pages, les élus promettent de «presser le gouvernement fédéral et les États d'appliquer des politiques qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre causant le réchauffement climatique de 7 % d'ici 2012 par rapport au taux de 1990». Ils demandent «des efforts pour réduire la dépendance des États-Unis envers les énergies fossiles et pour accélérer le développement de ressources énergétiques propres et économiques comme la reconversion du méthane, les énergies solaire et éolienne, les carburants bio». Suivent une série d'engagements concrets que les maires entendent appliquer au niveau local. «Nous nous efforcerons d'atteindre et même de dépasser les objectifs du protocole de Kyoto en agissant dans nos propres villes.»

C'est Greg Nickels, maire démocrate de Seattle, qui est à l'origine de ce projet. En bras de chemise, un verre d'eau gazeuse à la main, il explique que «c'était logique. Le 16 février 2005, le jour où le protocole de Kyoto entrait en application, et en l'absence des États-Unis, j'ai appelé à réduire les gaz à effet de serre à Seattle. Le problème est global. Nous avons donc besoin d'une action en commun». Après cette déclaration publique, Greg Nickels a réuni son équipe en vue d'élargir son action sur le plan national.

«Nous avons pensé à quelques maires qui seraient réceptifs à ce type de message.» Parmi eux, Martee Plum, premier édile de Santa Barbara.

Esprit pionnier

À son bureau, cette frêle sexagénaire raconte volontiers l'esprit pionnier de l'aventure. Sur ses genoux, elle tient Une vérité qui dérange, le livre tiré du film d'Al Gore, candidat démocrate malheureux à la présidentielle de 2000, sur les dangers du réchauffement. «J'ai reçu une invitation de Greg! C'est un peu notre gourou à tous, il est formidable!» Elle poursuit dans un grand sourire: «Nous étions seulement huit maires à nous retrouver à Racine, dans le Wisconsin [région des Grands Lacs], en plein hiver, au bord du lac Michigan... C'était très beau, mais nous nous sentions un peu isolés. Nous parlions du réchauffement climatique en essayant de voir quel type de politiques nous pouvions mener. En nous rendant compte que 80 % de la population américaine habite en ville, nous avons compris que Greg Nickels avait raison. Que nous pouvions agir à notre niveau, même pour une petite ville comme la mienne, devant l'absence d'action de notre gouvernement.»

Au retour de la réunion, les huit élus ont envoyé près de 700 lettres appelant à appliquer Kyoto. Objectif: convaincre une centaine de maires, démocrates ou républicains. En juin, l'annonce officielle affirmait que 168 maires avaient signé l'accord. Aujourd'hui, ils sont 294, représentant 49,2 millions d'habitants (la population totale des États-Unis est de 290 millions) et 44 États (sur 50). «Surtout, il faut insister sur le caractère transparti de cette résolution», dit Greg Nickels. Si la majorité des signataires sont démocrates, l'accord compte aussi de nombreux maires républicains de haut rang, comme Michael Bloomberg, premier magistrat de New York (la plus grande métropole du pays, avec 8,1 millions d'habitants).

Résultat: l'immense majorité des grandes métropoles signataires ainsi que de nombreuses villes, petites et moyennes, s'appliquent à protéger l'environnement. À Santa Barbara, Martee Blum a nommé un coordinateur pour le développement durable, qui peut intervenir de façon transversale sur tous les sujets, qui renouvelle le parc automobile municipal en véhicules propres et contraint industries et commerces à respecter le plafond d'émissions de gaz nocifs. Il soutient aussi des actions plus symboliques. L'association Light Blue Line, par exemple, milite pour un tracé bleu qui symboliserait sur les façades des bâtiments du comté le niveau qu'atteindraient les eaux de l'océan en cas de fonte massive des glaces. «Et c'est assez effrayant», estime Martee Blum.

Dans les plus grandes villes, les actions prennent un tour plus sérieux mais pas moins radical. Antonio Villaraigosa, maire démocrate de Los Angeles depuis 2005 et également présent à la réunion, a choisi de faire de son allocution au congrès latino, à portée nationale, un peu plus tôt en septembre, un véritable discours-programme écologiste. Et le catalogue de mesures annoncées est impressionnant: renaissance de la rivière quasi disparue, lutte contre l'eau polluée qui contamine particulièrement les zones pauvres habitées par les Noirs et les Hispaniques de South Central et Sun Valley, une «initiative pour le changement climatique» prise avec les villes de Londres et Seattle.

«Si le gouvernement ne signe pas Kyoto, les villes montreront le chemin», a-t-il lancé sous les vivats. Concrètement, d'ici 2010 (fin de sa mandature), M. Villaraigosa veut être l'homme qui aura fait planter un million d'arbres, qui aura permis à 85 % des propriétaires de voitures de rouler au «carburant alternatif» et encouragé les entreprises à construire des sièges sociaux respectueux de l'environnement grâce à une aide financière de la municipalité.

Aller plus loin

Dans une ville comme Albuquerque — première agglomération du Nouveau-Mexique —, qui compte 448 600 âmes et qui a vu son nombre d'habitants augmenter de 20 % ces dix dernières années, la problématique est différente. «Nous sommes la ville qui compte le plus de fabricants de puces électroniques dans le pays, avance son maire, Martin Chavez. Nous sommes donc très sensibilisés aux nouvelles technologies et aux nouvelles énergies. C'était logique pour moi de signer cet accord.» Mais pour ce maire élu sans étiquette partisane, «Albuquerque doit aller encore plus loin» que les strictes mesures prévues au protocole de Kyoto. «Et on peut le faire sans le gouvernement fédéral.»

Lorsqu'on lui demande s'il ne serait pas logique de faire appel au Congrès ou à la Maison-Blanche, il répond sèchement: «Cela ne m'intéresse pas d'embarrasser mon président sur la scène internationale. Je préfère agir.»

Les rivalités entre l'État fédéral et les collectivités territoriales ne datent pas d'hier en Amérique. Si la Constitution des États-Unis indique clairement qui fait quoi entre le pouvoir central et les États, l'histoire a montré que les luttes d'influence sont constantes. Cela étant, le rejet de la politique environnementale de l'administration Bush en général — et la bataille contre le réchauffement climatique en particulier, la Maison-Blanche refusant toujours de faire le lien entre l'action de l'homme et le réchauffement de la planète — est massif. Y compris au sein du Parti républicain.

Les maires ne sont pas les seuls à avoir agi. Le 7 décembre 2005, la Northeast States for Coordination Air Use a vu le jour. La mégapole qui s'étend de Boston à Washington en passant par New York et Philadelphie est la zone qui émet le plus de dioxyde de carbone dans le pays. Cette initiative régionale rassemble sept États et vise à une baisse de 10 % des émissions de CO2 d'ici 2019. Ce «mini-Kyoto» a été lancé à l'initiative du gouverneur de l'État de New York, George Pataki, un républicain.

La Californie, l'État le plus riche et le plus peuplé des États-Unis, avec 35 millions d'habitants, est aussi le plus pollueur. Elle serait à elle seule le douzième pollueur mondial, coupable de 10 % du total de CO2 émis aux États-Unis et de 2,5 % dans le monde, selon des chiffres avancés par le Los Angeles Times.

Mais le gouverneur Arnold Schwarzenegger a décidé de franchir le pas de façon spectaculaire. En pleine campagne pour sa réélection, l'ex-Terminator, républicain sur une terre d'élection démocrate, se rapproche des positions de M. Bush en matière de sécurité mais s'en éloigne dès que possible sur les sujets scientifiques, éthiques, énergétiques et environnementaux pour afficher des convictions bien plus progressistes. Le 30 août, M. Schwarzenegger a fait voter une loi sur une réduction draconienne des émissions de gaz carbonique. D'ici 2020, la Californie veillera à ce que le taux d'émissions de ce type de gaz diminue de 25 %. Le camp démocrate, majoritaire au Parlement local et associé aux négociations, a garanti un vote clair et rapide. Seuls quelques républicains se sont prononcés contre.

Les coûts

Toutefois, des voix se font entendre sur le coût d'une telle mesure. «Réduire les émissions de gaz carbonique de la sorte n'aura pas d'impact réel sur le climat californien», assure Ken Caldeira, du département d'écologie de l'université Stanford. «Cela ne marchera que si le reste du monde fait la même chose.» Pour diminuer d'un quart les émissions, il faudrait en éliminer 174 millions de tonnes. Pour de nombreux industriels, c'est mission impossible. Alors, après la carotte, «Governator» a sorti le bâton. À peine trois semaines après la nouvelle loi, le ministre de la Justice californien a déposé une plainte au civil contre les six plus gros constructeurs automobiles: General Motors, Ford, Chrysler et les japonais Nissan, Honda et Toyota. Motif: «Nuisance publique [causée par la production de] millions de véhicules qui émettent collectivement des quantités massives de dioxyde de carbone.» À suivre...

Chez les maires et les écologistes, la tendance est à l'optimisme. «Les mentalités sont en train de changer», assure Martin Chavez. «Quels que soient les candidats à l'élection présidentielle de 2008, ils seront obligés d'aller dans le sens des mesures de Kyoto», avance Dale Bryk. Ce que confirme Greg Nickels. «Tous les candidats aux élections primaires, dans les deux partis, devront annoncer un programme précis sur le réchauffement climatique. L'opinion publique attend cela», dit-il. D'ailleurs, la pression des maires commence à porter ses fruits: la Conférence a d'ores et déjà prévu d'auditionner publiquement tous les candidats aux primaires, sans doute au printemps 2007, à Washington. «Qu'il soit républicain ou démocrate, le futur président devra être celui de la lutte contre le réchauffement de la planète, affirme Greg Nickels. Il n'y a plus de temps à perdre.»

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