Aux États-Unis, la SEC veut intervenir mais l'industrie entend préserver la poule aux oeufs d'or

New York — Comment contrôler les hedge funds? Comment éviter que les plus de 1000 milliards de dollars qu'ils gèrent aux États-Unis et avec lesquels ils prennent des risques parfois inconsidérés ne déstabilisent les marchés financiers? Comment éviter que l'effondrement de l'un d'entre eux, comme LTCM en 1998 ou Amaranth à la mi-septembre, ne provoque un krach?
Aux États-Unis, la bataille fait rage entre les partisans d'un contrôle plus étroit, au Congrès et à la Securities Exchange Commission (SEC, l'autorité de régulation des marchés), et ceux qui le jugent inutile, à la Fed et dans l'industrie financière. Devant le Sénat, le président de la SEC, Christopher Cox, a répété à plusieurs reprises que la supervision des hedge funds est «inadéquate» et leurs pratiques «opaques». Il a demandé aux élus de prendre leurs responsabilités.Mais Ben Bernanke, le président de la Fed, a affirmé devant les mêmes parlementaires qu'une régulation supplémentaire serait «inefficace», jugeant que «la discipline du marché fait preuve de ses capacités à maintenir la discipline des hedge funds». Il a aussi estimé que ces derniers «apportent certains bénéfices importants. Ils ajoutent beaucoup de liquidité aux marchés».
Quant aux établissements financiers de Wall Street, ils ne veulent surtout pas tuer la poule aux oeufs d'or. Depuis l'année 2000, les actifs gérés par les hedge funds américains ont plus que triplé. Il y aurait près de 9000 fonds aujourd'hui, de toutes tailles. Leurs transactions représenteraient environ 30 % à 50 % de l'ensemble des échanges en Bourse.
Stratégies dangereuses
Après l'éclatement de la bulle Internet, les investisseurs se sont précipités sur ces fonds dont, en général, les performances ont été bien supérieures aux fonds de placement classiques, plus dépendants des performances des marchés. «Les hedge funds sont devenus les icônes de la nouvelle culture financière», précise l'expert des comportements financiers Woody Dorsey.
Mais la contrepartie de cet engouement est l'accroissement de la concurrence, qui passe par des stratégies de plus en plus dangereuses pour obtenir de meilleures performances, avec notamment une entrée en force ces dernières années sur les marchés de l'énergie. Voilà pourquoi le courtier canadien Brian Hunter, 32 ans, qui travaille pour Amaranth, a perdu en une semaine cinq milliards de dollars sur le marché du gaz naturel.
Le premier hedge fund a été créé en 1949 par le journaliste financier Alfred Winslow Jones, à partir d'une stratégie alors incongrue et originale. Il a utilisé la moitié de l'argent confié par les investisseurs pour acheter des actions et l'autre moitié pour en vendre à terme. Il pariait à la fois sur la hausse et la baisse des titres. Les hedge funds adoptent des stratégies complexes à base de modèles mathématiques sophistiqués pour spéculer à la hausse et à la baisse et minimiser, en théorie, les risques.
Leur autre caractéristique majeure est le secret. Ils ne sont pas soumis aux mêmes règles de transparence et de gestion que l'épargne publique traditionnelle. Ils sont aussi réservés à une clientèle plus riche et informée. Il est difficile, aux États-Unis, d'y entrer avec un chèque inférieur à 250 000 $US.
Ils sont protégés par une véritable loi du silence, qui tient aux secrets de fabrication et aux stratégies, jalousement gardés. Cela tient aussi à un règlement de la SEC qui, pour protéger les investisseurs les moins avertis, interdit aux établissements de gestion de faire de la publicité sur les performances de leurs hedge funds.
Comme le souligne John Rekenthaler, vice-président de Morningstar, spécialisé dans l'étude des performances des fonds de placement, «ce sont des animaux étranges. Il est vraiment difficile d'obtenir des informations. Presque tous les investisseurs ne savent pas ce qu'ils font de leur argent. Sauf quelques grandes institutions qui peuvent dire: "Montrez-moi votre portefeuille, sinon je ne vous apporte pas mes 100 millions de dollars"».
En dépit des obstacles, la SEC semble décidée à obtenir plus de transparence. En 2005, elle a déféré pour de possibles poursuites 11 % des fonds qu'elle a contrôlés. Elle les a contraints, en février, à s'enregistrer auprès d'elle comme conseillers en investissement, mais a subi un sérieux revers quand une cour d'appel fédérale a jugé en juin dernier cette obligation illégale.
Pour autant, le responsable des enquêtes de la SEC, Linda Chatman Thomsen, a déclaré à New York le
26 septembre qu'elle entendait toujours faire le ménage dans cette industrie. Elle a ouvert un nouveau front, s'en prenant aux maisons de courtage peu regardantes sur les risques des positions prises par les hedge funds qui figurent parmi leurs clients. «Ce que nous voyons dans certains cas va au-delà du refus de voir, et s'apparente à de la complicité et de l'incitation», a-t-elle déclaré.