Un dernier «ange gardien» de Snowden toujours coincé à Hong Kong

Ajith Pushpa Kumara à Hong Kong, en décembre 2020
Photo: Jayne Russell Ajith Pushpa Kumara à Hong Kong, en décembre 2020

Tout comme Edward Snowden, il a vu sa vie prendre une tout autre tournure il y a 10 ans alors que des révélations sur la surveillance de masse secouaient le monde entier. Ajith Pushpa Kumara Debagama Kankanamalage est le dernier des « anges gardiens » du célèbre lanceur d’alerte bloqué à Hong Kong par un supplice bureaucratique. L’organisation québécoise Pour les réfugiés, qui le parraine, dépose un recours juridique extraordinaire mardi en Cour fédérale pour forcer Ottawa à bouger.

Les réfugiés de Snowden, médiatisés par le film d’Oliver Stone, sont quatre adultes et maintenant trois enfants. Ils ont caché et aidé cet homme, comptant parmi les plus recherchés de la planète, durant sa cavale à Hong Kong en 2013, alors que les États-Unis venaient de l’accuser de haute trahison. Tous ont déposé leur dossier en même temps en 2017, mais plus de six ans plus tard, M. Pushpa Kumara n’a toujours pas obtenu le feu vert pour s’installer au Canada.

Avec un mandamus, une forme de demande d’injonction, l’organisme Pour les réfugiés espère mettre fin à ce « délai absolument inconcevable », dit son président, Me Marc-André Séguin. Ajith, comme il l’appelle, est dans une situation de « grande vulnérabilité » à Hong Kong, où le cadre légal est très restrictif pour les réfugiés.

M. Pushpa Kumara était du même convoi que ses compagnons d’infortune en 2018 quand ceux-ci se sont rendus au consulat canadien à Hong Kong pour leur entrevue de sélection en tant que réfugiés. Il a ensuite vu chacun d’eux partir pour le Canada. Une fois en mars 2019. Puis encore en septembre 2021.

Un représentant canadien a pourtant jugé dès janvier 2019 que ce Sri-Lankais d’origine correspondait à la définition d’un réfugié et qu’il était admissible.

Cette information, comme pratiquement tout ce qui a trait à son dossier, a dû être extirpée par l’équipe juridique de l’organisme, qui agit gratuitement en son nom. Deux mises en demeure, plusieurs demandes d’accès à l’information, un mandamus précédent et des dizaines de communications pressantes plus tard, l’homme n’a toujours pas le document nécessaire pour partir.

Plus de 72 mois se sont écoulés depuis le premier dépôt de sa demande. Cette fois, ses avocats demandent à la Cour fédérale de forcer le ministère fédéral à agir, en raison des « délais de traitement déraisonnables ». Dans les documents judiciaires transmis au Devoir, ils font la démonstration qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada refuse ou néglige abusivement de rendre cette décision sans justification.

« On lui demande tout simplement de finaliser le processus. Toutes les cases ont été cochées, tout a été fait dans les règles et on reçoit encore des réponses standardisées qui ne tiennent pas compte de l’urgence de sa situation », lance Me Séguin, qui s’impatiente.

Son passé militaire, motif et frein

Les dernières étapes de ce long chemin de croix ont pourtant été franchies récemment, quand le gouvernement du Québec a délivré un certificat de sélection. Le bureau canadien des visas de Hong Kong refuse cependant de donner les dernières instructions pour son examen médical, ce qui ne devrait être qu’une simple formalité.

Dans une lettre à la réponse « préformattée », ce bureau a indiqué à nouveau dimanche que l’évaluation de sécurité ne serait toujours pas terminée. Les vérifications des antécédents judiciaires auraient pourtant été entamées dès avril 2017 « de manière accélérée », selon une communication émanant du bureau du ministère fédéral de l’Immigration.

Cette vérification est véritablement l’élément « paralysant », comme l’expriment ses avocats dans les documents acheminés à la Cour, et le seul facteur qui le distingue des autres réfugiés de Snowden. Ajith a déserté l’armée du Sri Lanka en 1995, après avoir subi des violences sexuelles de la part de ses supérieurs. Il a ensuite été torturé et presque exécuté par la police militaire plusieurs années plus tard, quand il a été arrêté pour cette désertion.

« On ne peut pas invoquer des vérifications d’antécédents judiciaires, des motifs vagues de manière indéfinie pour refuser à quelqu’un son visa », expose Me Marc-André Séguin.

Dans une colère polie et appuyée, l’avocat montréalais dénonce que la raison même qui a fait de M. Pushpa Kumara un réfugié devienne l’obstacle principal à sa réinstallation : « Son passé militaire n’est pas un secret, c’est central à sa demande pour être réfugié. C’est absolument injuste, ignoble, inhumain et incompétent qu’on utilise ce même refrain depuis sept ans pour ralentir le processus. »

Pour lui, ce cas est aussi emblématique de l’état désastreux du système de réfugiés du Canada : « Comment peut-on prétendre qu’on veut protéger des personnes vulnérables comme lui alors que près de sept ans plus tard, il attend toujours ? »

Ajith Pushpa Kumara a tenté de trouver refuge à Hong Kong dès 2003, mais n’a jamais été reconnu comme tel par cet État, qui n’est pas signataire de la Convention sur le statut des réfugiés et qui reconnaît à peine 1 % des demandes qui lui sont soumises.

Il n’a pas l’autorisation de travailler là-bas et ne subsiste qu’avec le soutien de l’organisme. Arrêté, détenu et fouillé en septembre 2021 par la police de Hong Kong sous de fausses allégations, il souffre aussi de choc post-traumatique à cause de la torture infligée au Sri Lanka. S’il devait être expulsé vers son pays d’origine par les autorités hongkongaises, il risque la peine de mort.

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