Aux Philippines, une incursion dans le fief des Marcos

Cette photo prise le 8 mai 2022 montre des affiches de campagne pour l’élection présidentielle le long d’une rue dans la région d’Ilocos Norte.  
Photo: Jam Sta Rosa Agence France-Presse Cette photo prise le 8 mai 2022 montre des affiches de campagne pour l’élection présidentielle le long d’une rue dans la région d’Ilocos Norte.  

Il y a un an, le fils du dictateur Ferdinand Marcos était porté au pouvoir. Dans cette série de trois textes, Le Devoir prend le pouls de la capitale des Philippines et du nord du pays. Aujourd’hui : une incursion dans le fief des Marcos pour éclairer la suite de la présidence du fils de l’ex-dictateur.

Fier devant son side-car, Ronald Magno affichait aussi, la semaine dernière, sa fierté quant au nouveau président du pays, Ferdinand Marcos Jr., dit « BongBong », dont la famille règne depuis toujours sur la région d’Ilocos Norte, dans le nord du pays, et qui, depuis un an, a remis le clan à la tête du pays. « C’est une première année parfaite, a dit Ronald Magno. Tout fonctionne très bien et la vie est désormais meilleure pour nous. »

Il a ajouté : « BongBong Marcos (BBM), nous l’aimons parce que sa famille vient d’ici, c’est sûr, mais aussi parce que tout ce que l’on raconte sur lui est faux. Son père n’a jamais été un dictateur. BBM non plus. Ce ne sont que des mensonges pour essayer de le détruire en utilisant le passé. »

Dans la région d’Ilocos Norte, la population est acquise aux Marcos depuis des lunes et elle en a fait la démonstration en se prononçant à 95 % en faveur du fils du dictateur lors du scrutin présidentiel de mai 2022, un score quasi stalinien. Le nouveau président a été élu avec plus de 57 % des voix à l’échelle du pays.

Photo: Fabien Deglise Le Devoir Aux abords de Capitole de Laoag dans le nord des Philippines, Ronald Magno assure que la première année de présidence de Ferdiand Marcos Jr. a été «parfaite».

Mieux : l’ensemble des postes électifs y sont désormais tenus par un membre de sa famille : Sandro Marcos, jeune fils de BBM et politicien sans expérience, est devenu, à 29 ans, le député de la région, alors que Matthew Marcos Manotoc, fils de Imee Marcos, la soeur du président, a remporté le siège de gouverneur. La vice-gouverneure est Cecilia Araneta Marcos, cousine par alliance du nouveau président. La mairie de Laoag, la plus grande ville du coin, elle, est tenue par Michael Marcos Keon, cousin de BBM et neveu de l’ex-dictateur. Aux Philippines, la politique, c’est une histoire de famille.

« L’élection de BongBong Marcos, c’est un peu comme une revanche sur le passé pour les gens de la région, laisse tomber le sociologue Herdy Yumul, qui enseigne à la Mariano Marcos State University, établissement régional baptisé en l’honneur du grand-père du nouveau président. Depuis des années, ils se font traiter de fanatiques, d’incapables de penser par eux-mêmes, d’idiots, même d’aveuglés par les Marcos. Mais désormais, ils ne sont plus les seuls à croire en eux. »

« Le monde les aime »

Difficile de trouver des voix critiques du nouveau président dans cette région partagée entre petites villes au développement modeste et ruralité composée de petites fermes familiales traditionnelles cultivant le riz, l’ail et le maïs.

« C’est normal », laisse tomber en rigolant Edwin Cariño, organisateur politique pour les Marcos, rencontré dans les bureaux du fils du nouveau président, Sandro, dont il est devenu le conseiller. « Les Marcos ont tellement accompli ici en matière de développement, et c’est pour ça que tout le monde les aime. »

L’affirmation tranche forcément dans l’environnement direct, où les infrastructures peinent à afficher la modernité qui prévaut dans d’autres pays asiatiques alentour. La pauvreté, même si elle demeure à un des niveaux les plus bas aux Philippines, est aussi difficile à manquer, particulièrement en entrant dans les zones agricoles, et ce, même après plus de 70 ans de domination des Marcos dans la région.

Les disparités sont également criantes, entretenues depuis des années par les « balikbayans », les Philippins vivant à l’étranger et qui sont devenus d’importants contributeurs à l’économie locale avec la construction, entre autres, de somptueuses maisons pour leurs vacances ou pour leur retour au pays.

« Les conditions de vie ne s’améliorent pas très vite. Les prix des aliments ou de l’essence augmentent aussi, mais personne ne se plaint ici, dit Karl Lenin Benigno, professeur de science politique à la North Western University de Laoag. Non pas par peur des représailles, mais simplement parce que la recette Marcos fonctionne très bien, ici. »

Il explique : « La famille sait très bien comment manier la politique de la distribution, à travers des enveloppes d’argent données aux familles et aux démunis, des dons en matériaux, en nourriture, en subvention… Tout se fait à la pièce. Il n’y a rien de structuré ni de structurant, mais cela a contribué à rendre le château fort d’Ilocos Norte encore plus fort. » Une mécanique de l’emprise politique des Marcos sur une région qui pourrait donner le ton de celle que le fils du dictateur pourrait désormais chercher à imposer au reste du pays durant les cinq prochaines années de son mandat.

Photo: Fabien Deglise Le Devoir Manuel Flores Aurelio, professeur de droit à la retraite et ex-procureur de la région d’Ilocos Norte

« Il est encore trop tôt pour en juger, sa présidence est encore trop jeune, résume Manuel Flores Aurelio, professeur de droit à la retraite et ex-procureur de la région d’Ilocos Norte. Mais quand vous donnez de l’argent à des gens pour qu’ils votent pour vous, ils finissent par oublier, mais aussi par excuser les travers d’un dirigeant. » Et la condition est ainsi profitable aux intérêts des Marcos, et ce, dans un contexte de dynastie politique propre aux Philippines, où les histoires de famille vont souvent de pair avec celles de malversation.

« Dynastie et corruption sont comme des frères et soeurs », dit Karl Lenin Benigno, tout en soulevant un problème que peu dans la région osent nommer ou arrivent à voir.

« La corruption, c’est aussi le fait des gens qui sont autour du président, assure Linda Simone, directrice du Museo Ilocos Norte de Laoag, qui croit que le nouveau président va en venir à bout. Il va le faire, comme il va combattre la pauvreté. Il l’a promis. Et l’avenir de notre pays repose sur lui, désormais. »

Un avenir qui préoccupe autrement le sociologue Jayeel Cornelio, de la Ateneo de Manila University, qui observe depuis plus d’un an une société où leaders corrompus « sont loin d’être tenus responsables de leurs actes », dit-il.

« Comme professeur, comme Philippin, c’est ce que j’aimerais voir, pourtant. Mais BBM fait en sorte désormais que cette responsabilité ne se produise pas. Il vient d’une famille qui a volé des milliards et, malgré cela, il a pu devenir président. Cela ouvre la porte à d’autres vols, mais également à d’autres familles qui pourraient essayer de faire la même chose, par la suite. » À la fin c’est tout le pays et les citoyens qui vont en payer le prix.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat- Le Devoir .

Demain : rencontre avec un élu et cousin de Ferdinand « BongBong » Marcos Jr.

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