Des chercheurs comptent régler le problème des déchets électroniques

Vivek Verma, chercheur au laboratoire Scarce, à la Nanyang Technological University de Singapour, laisse tomber des piles dans un broyeur qui les transforme par la suite en copeaux, dont on extraira le nickel et le lithium à l’aide d’un acide extrait de la pelure d’orange.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Vivek Verma, chercheur au laboratoire Scarce, à la Nanyang Technological University de Singapour, laisse tomber des piles dans un broyeur qui les transforme par la suite en copeaux, dont on extraira le nickel et le lithium à l’aide d’un acide extrait de la pelure d’orange.

Jeremy Ang, un ingénieur de 36 ans, tend du bout des doigts une languette craquelée de cellule photovoltaïque : comment recycler cet enchevêtrement de silicium, de plastique et de métaux ? « Si personne ne résout ce problème, le dépotoir de Singapour va déborder », soutient le jeune universitaire.

Aucun pays du monde ne peut se permettre d’accumuler des déchets, mais, dans le cas de Singapour, l’impératif est catégorique. La minuscule cité-État manque cruellement d’espace. Ses scientifiques élaborent donc des procédés viables écologiquement et économiquement pour recycler les rebuts du pays.

M. Ang fait partie du laboratoire Scarce, fruit d’une collaboration franco-singapourienne, qui se concentre sur les déchets électroniques. Ceux-ci doivent être éliminés avec soin en raison de leur toxicité. En contrepartie, ils contiennent des métaux en forte demande qui bénéficient d’une bonne valeur de revente.

Le local du laboratoire, établi dans la Nanyang Technological University, fourmille d’activité. En plus des panneaux solaires, les chercheurs s’attaquent au recyclage des composants microélectroniques, des batteries aux ions de lithium et des plastiques imprégnés d’additifs toxiques.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir On aperçoit le rouleau mécanique qui permet de décoller les couches qui composent les panneaux photovoltaïques, créé par le chercheur Jeremy Ang.

À Singapour, les déchets domestiques sont incinérés (voir encadré). Les cendres qui en résultent partent en barge vers l’île de Semakau, à huit kilomètres au large, où on les empile derrière une digue. Cet espace, créé de toutes pièces aux dépens de la mer, se remplit rapidement. Il sera saturé en 2035.

Plutôt que de brûler les panneaux solaires, M. Ang propose d’en séparer les couches grâce à une combinaison de procédés chimiques et physiques. Il a créé un rouleau mécanique muni d’un grattoir qui décolle le sandwich photovoltaïque. « Je crois que notre procédé réduit au maximum les coûts et les sous-produits indésirables, explique-t-il. De là, avec un peu de chance, nous pourrons passer à l’échelle industrielle. »

Vivek Verma, un autre des chercheurs de Scarce, travaille pour sa part sur les batteries aux ions de lithium. Il monte sur un escabeau pour atteindre le sommet d’un broyeur, où il laisse tomber quelques piles. La machine les transforme en un mélange de copeaux colorés, cuivrés, ou noircis. L’objectif des étapes suivantes consiste à isoler le nickel et le lithium.

Traditionnellement, on s’attelle à cette tâche en faisant fondre les morceaux, ce qui demande beaucoup d’énergie, ou en les dissolvant avec de puissants acides, une solution peu écologique. Ici, les chercheurs utilisent un acide extrait de la pelure d’orange, explique Do Minh Phuong, une ingénieure d’origine chinoise. « Nous ne devons ajouter aucun autre produit chimique à la solution », précise-t-elle.

Pallab Das, lui, s’attaque aux plastiques des appareils électroniques. Ces plastiques, exposés à de fortes chaleurs, sont souvent imprégnés de retardateurs de flammes. Chauffer ces produits chimiques génère des fumées toxiques. Il faut donc les séparer des autres plastiques avant le recyclage.

Le défi consiste à reconnaître rapidement les plastiques toxiques sur le tapis roulant d’une usine de recyclage. Pour y arriver, l’équipe envoie un faisceau laser sur les pièces de plastique. Elle fait ensuite une lecture du spectre électromagnétique de la matière pulvérisée. « Nous appelons cela un triage rapide : c’est très pratique en milieu industriel », dit M. Das. Sur l’écran de son ordinateur, on voit apparaître une tache noire : le laser a frappé sa cible.

Déchets à brûler

Singapour possède quatre incinérateurs à déchets, désignés par l’euphémisme « Waste-to-Energy Plants ». Les cendres qui ressortent des fournaises à 1000 °C ont un volume dix fois inférieur à celui des déchets qui y entrent. Les effluves des usines sont filtrés avant d’être crachés par des cheminées de 150 mètres. Le plus récent incinérateur, TuasOne, brûle 3600 tonnes de déchets par jour et génère 120 mégawatts d’électricité, ce qui permet d’alimenter 240 000 logements.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Une pince géante attrape une poignée de quelque huit tonnes de déchets avant de les laisser tomber dans la fournaise de l’incinérateur TuasOne.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La température à l’intérieur de la fournaise s’élève à 1000 °C.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le volume des déchets, une fois réduits en cendres, aura été divisé par dix.

Et les composants microélectroniques — résistances, inductances, capacités — qui ornent les circuits imprimés, comment les recycler ? Il faut d’abord les trier, explique Nicolas Charpentier, un autre membre du labo. Qu’ils contiennent du néodyme, du baryum ou du titane, leur apparence peut être très similaire. Pour l’instant, seules 1 % des terres rares sont recyclées.

L’équipe de Scarce a donc créé un algorithme qui, à partir des images de caméras optiques et à rayons X, détermine ce qui se cache à l’intérieur des composants. M. Charpentier met son prototype en marche ; le tapis roulant s’active. Après le passage des petites pièces sous les caméras, des jets d’air comprimé les projettent dans un bac ou un autre, en fonction de leur composition.

« Le nerf de la guerre en recyclage, c’est de faire des procédés qui ne soient pas chers », rappelle Jean-Christophe Gabriel, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), en France, et codirecteur de Scarce, fondé en 2018. Les gens du domaine « se battent » contre l’extraction primaire des métaux stratégiques, qui ne coûte qu’une bouchée de pain.

Singapour est le « laboratoire » idéal pour relever ce défi, indique M. Gabriel par visioconférence depuis l’Europe. La simplicité du système gouvernemental — il n’existe qu’un seul palier — joue pour beaucoup. « Comme il n’y a pas 10 000 couches dans le mille-feuille, ils vont très, très vite dans leurs décisions. L’expérience est profitable. En ce qui me concerne, j’ai plus de moyens à Singapour qu’en France », dit-il.

Doit-on s’attendre à ce que, dans cinq ans, les technologies développées par l’équipe franco-singapourienne soient utilisées à l’échelle industrielle pour recycler les déchets électroniques de la cité-État technophile ? « Je dirais même l’inverse : si ce n’est pas le cas, on se fera taper sur les doigts », répond M. Gabriel en riant.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



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