La Chine tire des missiles près de Taiwan et du Japon

Une femme marchant à Pékin devant un écran géant diffusant une émission d’information sur les exercices militaires organisés autour de Taiwan
Photo: Noel Celis Agence France-Presse Une femme marchant à Pékin devant un écran géant diffusant une émission d’information sur les exercices militaires organisés autour de Taiwan

Au premier jour d’exercices militaires organisés autour de Taiwan en réponse à la visite à Taipei de Nancy Pelosi, la Chine a tiré jeudi des missiles qui auraient survolé l’île avant de tomber dans la zone économique exclusive du Japon.

Le geste a été immédiatement dénoncé par Washington, qui a fait savoir que son porte-avions USS Reagancontinuerait à « surveiller » les environs de Taiwan tout en annonçant avoir reporté un test de missile intercontinental pour éviter d’aggraver la crise.

« La Chine a choisi de surréagir et a utilisé la visite de la présidente de la Chambre des représentants comme prétexte afin d’accroître ses opérations militaires provocatrices à l’intérieur etautour du détroit de Taiwan », a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby.

Le USS Reagan « restera en service sur zone afin de surveiller la situation », a-t-il dit. Il a ajouté que les États-Unis « ne seront pas dissuadés d’opérer en mer et dans le ciel du Pacifique Ouest dans le respect du droit international, comme nous le faisons depuis des décennies, en défendant Taiwan et une région indo-pacifique libre et ouverte ».

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, qui participait à un sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à PhnomPenh, tout comme son homologue américain, a quant à lui accusé Washington d’être à l’origine de la crise, de s’être rendu responsable d’une « flagrante provocation » établissant « un précédent odieux ».

« Si aucune mesure n’était prise pour corriger et contrer la situation, que deviendrait le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures ? Le droit international pourrait-il encore être respecté ? Comment pourrait-on préserver la paix dans la région ? » a-t-il affirmé en marge du sommet.

Le ministre japonais des Affaires étrangères, Yoshimasa Hayashi, avait auparavant appelé « l’arrêt immédiat » des manoeuvres militaires chinoises. « Les actions de la Chine ont cette fois une incidence grave sur la paix et la stabilité de la région.  […] [Je demande] l’arrêt immédiat de ces manoeuvres militaires », a-t-il déclaré.

De leur côté, les ministres des Affaires étrangères des 10 pays membres de l’ANASE ont fait une mise en garde contre « tout acte provocateur ». La situation peut dégénérer et provoquer « un grave affrontement, des conflits ouverts entre les principales puissances et des conséquences imprévisibles », ont-ils indiqué dans un communiqué.

Malgré les fermes avertissements de Pékin, qui considère Taiwan comme l’une de ses provinces, Mme Pelosi, une des plus hautes responsables américaines, a séjourné sur l’île mardi et mercredi, avant d’entamer jeudi une visite au Japon. L’initiative est considérée par la Chine comme une provocation, un soutien aux partisans de l’indépendance de Taiwan et un reniement de la promesse des États-Unis de ne pas avoir de relations officielles avec l’île.

En réponse, l’armée chinoise a lancé une série de missiles qui ont survolé Taiwan avant de tomber pour la première fois dans la zone économique exclusive (ZEE) du Japon, sous couvert d’exercices militaires menés dans six zones maritimes autour de Taiwan, sur des routes commerciales très fréquentées et parfois à seulement 20 kilomètres des côtes taiwanaises.

Protestation du Japon

 

Quatre des cinq missiles balistiques chinois qui sont tombés dans la ZEE du Japon « auraient survolé l’île de Taiwan », a annoncé jeudi le ministère japonais de la Défense.

Qualifiant l’incident de « problème grave qui affecte notre sécurité nationale et celle de nos citoyens », le ministre nippon de la Défense, Nobuo Kishi, a précisé que « le Japon avait déposé une protestation auprès de la Chine par la voie diplomatique ».

Le secrétaire d’État des États-Unis, Antony Blinken, a pour sa part souligné que Washington avait pris contact avec Pékin « à tous les niveaux du gouvernement » dans les derniers jours pour l’appeler au calme.

Vingt-deux avions de combat chinois sont brièvement entrés jeudi dans la zone de défense aérienne taiwanaise, a annoncé le ministre de la Défense taiwanais lors d’un breffage consacré aux manoeuvres militaires chinoises. Condamnant des « actions irrationnelles qui minent la paix régionale », son bureau a confirmé que l’armée chinoise avait tiré « 11 missiles » balistiques de type Dongfeng « entre 13 h 56 et 16 h dans les eaux au nord, au sud et à l’est de Taiwan ».

Une simulation d’un « blocus » de Taiwan

À Pingtan, une île chinoise située non loin des manoeuvres en cours, des journalistes de l’AFP ont assisté jeudi après-midi au tir de plusieurs projectiles, qui se sont envolés dans le ciel en laissant derrière eux des panaches de fumée blanche.

À cet endroit de la Chine continentale, qui est le plus proche de Taiwan, les reporters ont également aperçu cinq hélicoptères militaires volant à basse altitude près d’un site touristique en bord de mer. Les exercices militaires chinois doivent s’achever dimanche à midi.

Selon le journal chinois Global Times, qui cite des analystes militaires, ces manoeuvres sont d’une ampleur « sans précédent ». « Si les forces taiwanaises viennent volontairement au contact de [l’armée chinoise] et viennent à tirer accidentellement un coup de feu, [l’armée chinoise] répliquera avec vigueur, et ce sera à la partie taiwanaise d’en assumer toutes les conséquences », a indiqué une source anonyme au sein de l’armée chinoise.

Les exercices visent à simuler un « blocus » de l’île et incluent « l’assaut de cibles en mer, la frappe de cibles au sol et le contrôle de l’espace aérien », selon l’agence officielle Chine nouvelle.

Tensions récurrentes

 

Si l’hypothèse d’une invasion de Taiwan, île de 23 millions d’habitants, reste peu probable, elle s’est amplifiée depuis l’élection en 2016 de l’actuelle présidente, Tsai Ing-wen. Issue d’un parti indépendantiste, elle refuse de reconnaître que l’île et le continent font partie « d’une même Chine », contrairement au gouvernement précédent.

Les visites de responsables et de parlementaires étrangers se sont également multipliées dans les dernières années, provoquant l’ire de Pékin.

La Chine n’a toutefois aucune envie que la situation dégénère, estiment des experts consultés par l’AFP. « Une guerre accidentelle » provoquée par un incident « est la dernière chose que souhaite Xi Jinping » avant le congrès du Parti communiste chinois, estime Titus Chen, professeur de sciences politiques à l’Université nationale Sun Yat-Sen, à Taiwan.

Amanda Hsiao, analyste des questions chinoises au cabinet de réflexion International Crisis Group, note toutefois que ces exercices « représentent une nette escalade par rapport à la norme des activités militaires chinoises autour de Taiwan et à la dernière crise du détroit de Taiwan, en 1995-1996 ».

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