À Taiwan, un optimisme mesuré face à la Chine

Les troupes  taiwanaises  sont armées  et entraînées par les États-Unis. Sur la photo, des militaires lors de la fête nationale, à Taipei,  en 2021.
Chiang Ying-ying associated press Les troupes taiwanaises sont armées et entraînées par les États-Unis. Sur la photo, des militaires lors de la fête nationale, à Taipei, en 2021.

La Chine profitera-t-elle de la guerre en Ukraine pour mener à son tour l’invasion de Taiwan ? Dans la capitale, Taipei, cette hypothèse ne convainc pas… pour l’instant.

Deux ogres face à deux petits pays, deux horizons semblables ? La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a rapidement rejeté la comparaison la semaine dernière : « Taiwan n’est pas l’Ukraine », a-t-elle répondu. Avant de préciser sa pensée : « Taiwan a toujours été une partie inaliénable du territoire chinois. » Une manière de prévenir le reste du monde : Pékin se réserve le droit d’y intervenir, et ne considérera pas cela comme une agression.

La Chine s’est par ailleurs abstenue de condamner l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. De son côté, la présidente taiwanaise, Tsai Ing-wen, a dénoncé la Russie et en a profité pour rassurer ses concitoyens : « Notre armée s’est engagée à défendre notre patrie et améliore sans cesse sa capacité à le faire. Nos partenaires étrangers contribuent à la sécurité de notre région, ce qui nous donne une forte confiance dans la sécurité de Taiwan. »

Sur le terrain, on a rapidement pu observer du mouvement : le samedi 26 février, un navire de guerre américain a traversé le détroit de Taiwan (qui sépare l’archipel de la Chine). Pékin a immédiatement évoqué une « provocation », Washington a répondu qu’il s’agissait d’un déplacement de « routine ». Mardi, c’est une délégation d’anciens hauts responsables américains de la défense qui est arrivée à Taipei. Pour Ying Yu Lin, professeur adjoint à l’Université nationale Sun Yat-sen et spécialiste de la défense taiwanaise  le message envoyé est clair : « Les États-Unis ne veulent aucun tir dans la zone indo-pacifique. »

Leçons ukrainiennes

 

Dans le ciel taiwanais, des avions militaires chinois continuent de s’inviter, mais c’est devenu une habitude tant ces intrusions sont nombreuses — près de 1000 en 2021. Aucune tension n’est par contre palpable dans les rues de Taipei. Ainsi peut-on résumer l’attitude des Taiwanais face à leur bruyant voisin : inquiétude oui, panique non.

« Je suis d’un optimisme prudent », précise Wen-Ti Sung, maître de conférences en études taiwanaises à l’Université nationale australienne. « La crise ukrainienne montre que même pour une puissance nucléaire comme la Russie, il est très difficile d’obtenir un succès rapide et peu douloureux. Si la Chine espérait faire de même à Taiwan, elle va certainement faire une pause pour y repenser. »

Autre motif de soulagement : face à Moscou, les Occidentaux ont fait preuve d’une union qu’on ne leur connaissait plus, et leurs lourdes sanctions économiques vont isoler la Russie. « Si Pékin doit en tirer une leçon, c’est qu’il va lui falloir bâtir une bien meilleure coalition sur le plan diplomatique afin de diminuer l’impact de telles sanctions », observe M. Sung. « Xi Jinping entend rester au pouvoir et veut donc éviter tout choc économique avant le prochain Congrès national du Parti communiste, prévu cet automne », ajoute M. Lin.

La crise ukrainienne montre que même pour une puissance nucléaire comme la Russie, il est très difficile d’obtenir un succès rapide et peu douloureux. Si la Chine espérait faire de même à Taiwan, elle va certainement faire une pause pour y repenser.

L’information, le nerf de la guerre

Si un potentiel combat paraît inégal, Taiwan ne part pas vaincu pour autant. L’île principale, fortement montagneuse, ne serait pas facile à prendre. Ses troupes sont armées et entraînées par les États-Unis. Et le petit archipel a acquis une importance colossale dans le monde contemporain : il produit 70 % des semi-conducteurs de la planète, que l’on trouve tant dans les téléphones cellulaires que dans les voitures. Sur le plan symbolique, il s’agit de la seule démocratie libérale d’expression chinoise, et donc d’un puissant contre-modèle au régime de Xi Jinping.

Les États-Unis ne veulent donc pas voir Taiwan tomber dans les griffes de Pékin, mais il est difficile d’affirmer qu’ils interviendraient militairement en cas d’attaque de l’empire du Milieu, puisqu’ils ont toujours cultivé l’« ambiguïté stratégique » dans ce dossier. Ying Yu Lin pense que l’armée de Washington pourrait agir en soutien de son équivalent taiwanais, notamment en partageant des informations sur les positions ennemies — ce qui serait d’autant plus facile que la force asiatique utilise des armements américains.

Une guerre ouverte reste cependant une option de dernier recours, pense l’expert, tant d’autres jeux d’influence se déroulent loin du terrain militaire : depuis plusieurs années, Pékin tente d’inonder Taiwan de désinformation, que ce soit par le biais de réseaux sociaux ou de médias dont les propriétaires ont de forts liens économiques avec la Chine continentale. Principale cible : la présidente Tsai Ing-wen, hostile à toute unification.

La pente sera toutefois difficile à remonter, tant l’identité des insulaires s’affermit : selon les derniers sondages, 62 % se considèrent uniquement comme Taiwanais, contre 3 % uniquement comme Chinois. Et 72,5 % se disent prêts à combattre pour la patrie si la Chine recourait à la force. On le voit en Ukraine : un tel sentiment national peut causer de grands soucis à un envahisseur…

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