Le Xinjiang, un «immense pénitencier» témoignent des Canadiens

« Nous avions l’impression de vivre dans un immense pénitencier » : un couple canadien qui a passé une dizaine d’années au Xinjiang a raconté à l’Agence France-Presse (AFP) la répression contre la minorité ouïgoure dont il a été témoin dans cette région de Chine. Après avoir travaillé pour des ONG en Asie, Gary et Andrea Dyck s’étaient installés en 2007 au Xinjiang, où le traitement réservé par les autorités chinoises à la minorité ouïgoure ces dernières années est dénoncé comme un « génocide » par plusieurs pays occidentaux. Le couple, qui a appris le mandarin et la langue ouïgoure, avait monté une entreprise de compostage à Tourfan, dans l’est du Xinjiang.
« Nous appréciions notre vie là-bas et nous nous sentions acceptés par la population ouïgoure. Ç’a été une période très spéciale… jusqu’à ce que ce ne soit plus du tout le cas », a déclaré Andrea Dyck à l’AFP. « Il y avait tellement de restrictions. Nous avions l’impression de vivre dans un immense pénitencier », ajoute son mari en évoquant le départ du couple en 2018, à un moment où de nombreux étrangers ont quitté la région.
Andrea et Gary Dyck disent avoir constaté qu’après les émeutes de 2009, « les quartiers traditionnels ouïgours ont commencé à être démantelés et leurs habitants, de plus en plus relogés dans des immeubles loin de leurs communautés ».
Nous avons assisté à une destruction croissante de leur culture
En 2016, alors que la répression s’intensifiait, le couple a noté un accroissement de la présence policière avec des points de contrôle aux principales intersections et une multiplication des caméras de sécurité. « Tout d’un coup, il fallait passer des contrôles de sécurité dignes d’un aéroport pour entrer dans une épicerie », se souvient Andrea.
Le couple a participé jeudi à une discussion virtuelle sur le sort des Ouïgours au Musée canadien pour les droits de la personne de Winnipeg. Il a accordé le lendemain un entretien à l’AFP, de son domicile dans la province du Manitoba.
Une répression « méthodique »
Pour Gary Dyck, la répression des Ouïgours et de leur culture est « très méthodique », et l’importance de l’appareil répressif est telle qu’elle empêche toute réaction de la population.
« Nous avons assisté à une destruction croissante de leur culture », en commençant par les traditions islamiques et touchant aussi la nourriture, les vêtements et le langage, souligne Andrea. Les Ouïgours se sont vu interdire de « tuer des moutons devant leur porte » pour les fêtes religieuses et même « d’avoir des tapis de prière chez eux », dit-elle. Selon le couple, certaines versions du Coran ont été interdites et finalement les livres en langue ouïgoure.
Andrea et Gary ont aussi rapporté qu’un camp de détention avec des murs de plus de quatre mètres de haut couronnés de fil barbelé, surveillé par des caméras et des patrouilles de gardes de sécurité, avait été construit près de chez eux.
Selon des experts étrangers, plus d’un million de Ouïgours, principal groupe ethnique du Xinjiang, sont détenus dans des camps de rééducation et certains sont soumis à du « travail forcé ». La Chine le dément fermement et affirme qu’il s’agit de centres de formation, destinés à éloigner leurs occupants du terrorisme et du séparatisme, après des attentats attribués à des Ouïgours.
Mme Dyck a évoqué le cas de la sœur d’une femme de sa connaissance, transférée dans un camp pour avoir effectué un séjour à l’étranger des années plus tôt. « Elle était le principal soutien pour ses parents âgés et les jeunes enfants de la famille élargie. Et avec son départ, la structure familiale s’est effondrée », dit-elle.
Gary Dyck note aussi que des amis du fils adolescent du couple attendaient avec inquiétude leur dix-huitième anniversaire en se demandant s’ils ne seraient pas internés dans des camps, une fois majeurs. « Dans quelle autre région du monde un jeune a-t-il peur d’avoir 18 ans », lance M. Dyck enindiquant que de jeunes hommes avaient commencé à se photographier sur les réseaux sociaux en train de fumer ou de boire « pour ne pas paraître musulmans ».
La décision de quitter le Xinjiang a été « difficile, mais nous avons estimé ne pas avoir d’autre choix », a conclu Gary Dyck, notant que le couple craignait aussi que ses relations avec ses amis ouïgours ne mettent ceux-ci en danger.