Mingatchevir, cible ultime de la guerre du Haut-Karabakh

À Mingatchevir, ville azerbaïdjanaise, les habitants craignent qu’une escalade du conflit dans le Haut-Karabakh ne déclenche à son tour une catastrophe d’ampleur biblique.
En apparence, Mingatchevir se présente comme une ville d’eau languissante sous le soleil. Hôtels 4 étoiles avec palmiers et motifs orientaux, barques et yachts de plaisance accostés aux rives de Kür, le principal fleuve du pays. Malgré la chaleur, personne ne songe à s’y rafraîchir ni à se baigner dans l’immense retenue d’eau bordée de plages sablonneuses à proximité.
De l’horizon, bouché toute la journée par un léger brouillard, proviennent des grondements. Le vacarme étouffé d’obus de gros calibre s’abattant sur la plaine limitrophe du Haut-Karabakh surnage dès que s’abaissent les nuisances sonores urbaines. Dimanche, les chocs étaient sporadiques, mais lundi, c’est devenu un barrage d’artillerie. Parfois jusqu’à dix impacts par minute. Mingatchevir a beau se trouver à 60 km des positions arméniennes les plus avancées dans le Haut-Karabakh, ses habitants entendent l’écho des combats. Difficile de déterminer la nature ou les coordonnées des cibles de l’artillerie. Une importante base aérienne militaire se trouve à 12 km à l’ouest de Mingatchevir, mais le brouillard empêche de distinguer quoi que ce soit. Le blocage des réseaux sociaux et le contrôle des médias forment une seconde couche de brouillard.
Comme les autres habitants, Vougar Ismaïlov, marchand de journaux, ignore d’où viennent les explosions, mais conspue leurs auteurs.
« Les Arméniens ne respectent jamais le cessez-le-feu. Il est impossible de leur faire confiance » tempête ce quadragénaire portant masque sous le nez. Il fait référence à la trêve humanitaire annoncée samedi soir à minuit, et qui n’a tenu que quelques heures. Une pause destinée à permettre aux deux camps de récupérer les cadavres abandonnés sur le champ de bataille. Voire d’échanger les prisonniers, ce qui reste à prouver étant donné la brutalité extrême des deux camps. Les Arméniens espéraient souffler face à l’assaut, mais Bakou a été clair dès l’annonce : pas question de mettre fin à l’assaut du Haut-Karabakh.
Nous devons aller jusqu’au bout, jusqu’à la victoire totale! Nous avons été bernés pendant 30 ans et, maintenant, nous possédons une solide armée capable de résoudre le problème.
Toutefois, en fin de journée lundi, le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, déclaraient tous deux être prêts à engager des pourparlers à Moscou. C’est la première fois depuis le début du conflit le 27 septembre que les deux hommes envisagent de se parler directement.
Le marchand de journaux préfère quand son président fait parler la poudre. « Nous devons aller jusqu’au bout, jusqu’à la victoire totale ! Nous avons été bernés pendant 30 ans et, maintenant, nous possédons une solide armée capable de résoudre le problème. » Il a un neveu au front, près de Talysh, le premier village arménien du Haut-Karabakh capturé par l’armée azerbaïdjanaise, la semaine dernière. « J’ai des nouvelles de lui par ma sœur. On ne peut pas l’appeler sur son portable, c’est interdit. Mais lui appelle sa mère de temps en temps pour donner des nouvelles. Il va bien, dit que l’ennemi est en pleine débandade et qu’on va bientôt gagner », croit le marchand.
Visuellement, c’est son point de vue qui paraît le plus partagé. De nombreuses fenêtres sont voilées par le drapeau national, monté aussi sur des tiges fixées sur les Ladas soviétiques, des Mercedes fatiguées et tout-terrains rutilants. De leurs vitres baissées pulse souvent le lourd rythme martial de la variété azerbaïdjanaise, mixant mélodies orientales et slogans ultra-patriotiques.
Un barrage dangereux
Mais d’autres frémissent à la pensée qu’une escalade s’étende à Mingatchevir. « Si les Arméniens visent notre barrage, nous risquons de tous périr », grommelle Sevda, marchande des quatre-saisons. Elle montre de la tête l’énorme barrage-poids haut de 65 mètres dominant la ville. Mingatchevir vit paisiblement sous une immense retenue artificielle d’eau de 605 km2 construite à l’époque stalinienne. « Si le barrage cède, tout le pays sera inondé, pas seulement Mingatchevir », prédit-elle en pinçant son masque sur le nez, alors qu’un groupe d’hommes sans masques approche son étal. « Si les Arméniens ne font pas un malheur, le virus s’en chargera » peste-t-elle, une fois le groupe à distance. « Aujourd’hui, ils [les autorités] ont fermé toutes les écoles. Ça va mal, ça va mal », gémit-elle en levant les yeux au ciel.
L’aspect massif et indestructible du barrage est illusoire, confirme Ilgar, ingénieur et militaire réserviste, qui préfère ne pas donner son nom de famille. « Le barrage comporte un défaut de construction, et les Arméniens le connaissent. » Pour lui, l’ennemi n’est pas encore passé aux choses sérieuses. « Ils nous ont envoyé un avertissement. S’ils tirent un [missile] Iskander à un endroit précis, la digue peut céder. » Le 4 octobre, une roquette de type Smerch s’était plantée dans le bitume juste devant la centrale hydroélectrique, située sous le barrage. Samedi dernier, à 1 h du matin, deux très fortes détonations ont retenti au-dessus de la ville. Une ou deux roquettes ont été abattues par la défense antiaérienne juchée sur la colline jouxtant le barrage. Ilgar pense qu’avec la capitale Bakou, Mingatchevir est la ville la mieux protégée du pays en raison du danger existentiel représenté par le barrage. Mais le risque ne disparaîtra qu’à la cessation des hostilités. D’ici là, des jours et des semaines d’angoisse en perspective.
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Les gens
de cette ville craignent qu’une escalade
du conflit déclenche
à son tour une catas-trophe d’ampleur biblique