Nagorny Karabakh: les bombardements sapent les espoirs de trêve

Forces arméniennes séparatistes du Nagorny Karabakh et armée azerbaïdjanaise s’accusaient dimanche de ne pas respecter l’accord de trêve entré en vigueur la veille, et de poursuivre les bombardements de zones civiles.
Dans l’après-midi, aucun échange de prisonniers ou de corps n’avait été annoncé, un objectif pourtant du cessez-le-feu humanitaire négocié vendredi à Moscou et qui devait entrer en vigueur samedi à 08 h 00 GMT (4 h du matin au Québec).
L’Azerbaïdjan a accusé les séparatistes arméniens de ne pas respecter les conditions de la trêve, faisant état notamment d’une frappe nocturne sur Gandja, deuxième ville du pays, qui a fait neuf morts parmi les civils.
Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a dénoncé sur Twitter une « violation flagrante du cessez-le-feu » et un « crime de guerre ».
« Les forces armées arméniennes ne respectent pas la trêve humanitaire et poursuivent les tirs de roquettes et d’artillerie sur les villes et villages d’Azerbaïdjan », a de son côté réagi auprès de l’AFP un porte-parole du ministère de la Défense, Vaguif Dyargahly, des accusations réitérées par l’armée azerbaïdjanaise dans un communiqué publié en soirée.
Même ton chez son homologue arménien, Chouchan Stepanian : « En violation de l’accord de cessez-le-feu, les forces azerbaïdjanaises mènent des assauts vers le Sud, utilisant des véhicules blindés et des missiles. Les unités [séparatistes] ont résolument supprimé toutes les opérations ennemies ».
Dimanche soir, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a fait part de son « extrême préoccupation ». « Nous prenons note avec une extrême préoccupation de rapports faisant état de la poursuite des activités militaires, notamment contre des cibles civiles, et de victimes civiles », a-t-il déclaré.
Les 27 pays membres de l’Union « demandent instamment à toutes les parties de respecter l’accord [de cessez-le-feu] sur le terrain », a-t-il ajouté.
À Gandja, les journalistes de l’AFP ont vu les sauveteurs azerbaïdjanais à l’œuvre dans les décombres d’un immeuble, d’où deux corps ont été extraits.
Au total, neuf appartements ont été détruits, selon des témoins, par une frappe à 02 h 00 locales (18 h au Québec), qui a fait neuf morts.
Accusations et contre-accusation
« Une pierre m’est tombée sur le visage, j’ai ouvert les yeux et une autre pierre est tombée. Je me suis dit “C’est quoi ça ?”, et je ne pouvais rien voir, tout était dans un nuage de poussière », raconte une habitante, Akifa Baïramova, 64 ans, qui a un œil au beurre noir en raison des débris l’ayant touchée.
« Ce sont des barbares, pas des humains. La guerre c’est avec des soldats, et nous sommes des civils. Nous dormions », s’emporte un autre voisin, Zaguit Aliev, 68 ans.
Les autorités du Nagorny Karabakh ont démenti avoir bombardé Gandja : « C’est un mensonge absolu ».
Le président séparatiste Araïk Haroutiounian a assuré dimanche matin que ses troupes respectaient « l’accord de cessez-le-feu », et jugé la situation « plus calme » que la veille.
Sa capitale, Stepanakert, a été néanmoins la cible d’au moins trois vagues de bombardements dans la nuit, selon des journalistes de l’AFP. Dans l’après-midi, on y entendait le bruit distant de tirs d’artillerie lourde provenant sans doute de la ligne de front.
« Tant que des tirs se poursuivent, il n’y aura pas d’échanges » de prisonniers ou de corps, a prévenu dans la matinée le dirigeant séparatiste.
Le ministre arménien des Affaires étrangères, Zohrab Mnatsakanian, qui a négocié la trêve avec son homologue azerbaïdjanais, retournera à Moscou lundi.
Il doit retrouver le Russe Sergueï Lavrov mais sa porte-parole a affirmé à l’AFP qu’une rencontre avec les coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE (Russie, France et États-Unis) est aussi programmée, à une date pas encore fixée.
Dimanche, les ministres russe et turc des Affaires étrangères ont appelé, selon un communiqué russe après leur conversation téléphonique, à « la nécessité de respecter rigoureusement toutes les dispositions » de l’accord.
Le pape François a quant à lui déploré « une trêve trop fragile ».
Le Nagorny Karabakh, ou Haut-Karabakh, territoire majoritairement peuplé d’Arméniens, a fait sécession de l’Azerbaïdjan, entraînant une guerre qui a fait 30 000 morts dans les années 1990. Bakou accuse depuis Erevan d’occuper son territoire, et les affrontements y sont réguliers.
Les combats qui opposent depuis le 27 septembre les troupes séparatistes, soutenues par l’Arménie, et l’Azerbaïdjan sont les plus graves depuis le cessez-le-feu de 1994.
Centaines de morts
Près de 500 morts ont été comptabilisés, dont une soixantaine de civils, un bilan qui pourrait être en réalité bien plus lourd, l’Azerbaïdjan n’ayant pas révélé le nombre de ses militaires tués et chaque camp revendiquant avoir tué des milliers de soldats adverses.
La réalité sur le terrain reste floue, chaque camp démentant systématiquement les succès annoncés par l’autre.
La trêve négociée à Moscou l’a été après de multiples appels de la communauté internationale, notamment du médiateur historique du conflit, le Groupe de Minsk, coprésidé par la Russie, la France et les États-Unis.
L’Azerbaïdjan, fort du soutien de la Turquie, a prévenu que ses opérations militaires ne cesseront définitivement qu’en cas de retrait arménien du Nagorny Karabakh.
La crainte est de voir ce conflit s’internationaliser, Ankara encourageant Bakou à l’offensive et Moscou étant lié par un traité militaire à Erevan.
La Turquie est en outre accusée d’avoir envoyé des combattants proturcs de Syrie se battre aux côtés des Azerbaïdjanais, ce que Bakou dément.
Ilham Aliev a jugé, dans un entretien publié dimanche en Russie, qu’Ankara « doit jouer un rôle accru dans la région et dans la résolution du conflit ».