L’exception culturelle japonaise, un atout contre le virus

Quand Jasmin Gendron regarde ce qui se passe ailleurs dans le monde, depuis la ville de Nikko, au Japon, où ce Québécois s’est installé il y a deux ans et demi, il a l’impression « de vivre sur une autre planète », dit-il. « Je viens tout juste d’accompagner mes enfants à l’école maternelle. Elles sont toujours ouvertes ici », explique le photographe joint par Le Devoir par téléphone mardi matin dans la préfecture de Tochigi, au nord de Tokyo. Les écoles primaires et secondaires ont été fermées depuis un mois, en avance sur le calendrier scolaire qui se termine en mars au Japon. « Ici, la ville est assez tranquille, mais la vie suit son cours normal. Les restaurants, les bars sont toujours ouverts. Les autorités ont fait des recommandations pour éviter la propagation du virus. Et tout le monde respecte les règles. »
Au temps du coronavirus, le Japon était encore loin mardi du confinement massif et du repli social qui a été imposé depuis plus de deux semaines dans plusieurs autres pays du monde, dont le Canada, pour faire face à la pandémie de COVID-19. Lundi, le gouvernement de Shinzo Abe a d’ailleurs dit qu’il n’avait pas l’intention de décréter l’état d’urgence le 1er avril, comme le laissait entendre une rumeur persistante, alors que le premier ministre devait avoir une conversation téléphonique avec Tedros Adhanom Ghebreyesus, le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en fin de journée.
Le Japon compte plutôt sur le civisme de ses citoyens pour traverser la crise, mais également sur le renforcement de sa ligne de défense face aux cas importés en interdisant, entre autres, l’entrée des étrangers en provenance des États-Unis, du Canada, de la Chine, de la Corée du Sud et de la plupart des pays européens. Et l’efficacité est pour le moment étonnante.
Avec une population vieillissante — 27 % des 127 millions de Japonais ont plus de 65 ans, contre 17,4 % au Canada —, le pays comptait, au plus récent recensement, 2648 cas d’infection au coronavirus, dont 63 létaux. Au Québec, 15 fois moins peuplé, 4162 cas avaient été enregistrés mardi, et 31 décès.
Le nombre très bas de dépistages de la population par les autorités peut expliquer ce portrait statistique singulier. Mais pas seulement. « L’hygiène et le respect des règles sociales ont été culturellement poussés à un niveau supérieur au Japon, dit M. Gendron, qui souligne que les personnes âgées n’ont plus droit à des visites dans les résidences où elles vivent et que tout le monde se conforme à cette recommandation. À l’entrée des magasins, du liquide désinfectant est désormais à la disposition des clients, qui l’utilisent en entrant et en sortant des commerces. »
Le Japon est également réputé pour des interactions sociales à faibles contacts physiques et pour ses citoyens qui se mettent en isolement naturellement lorsqu’ils ressentent des signes de maladies contagieuses. Le lavage des mains comme la désinfection des espaces privés et publics s’inscrivent également dans des pratiques sociales relevant de la norme plutôt que de l’exception.
Malgré cela, la croissance des cas d’infection, qui ont doublé en moins d’une semaine, commence à inquiéter plusieurs responsables politiques et représentants du monde médical, qui appellent depuis dimanche à des mesures plus strictes. La semaine dernière, le gouverneur de Tokyo, ville de 14 millions d’habitants où 74 nouveaux cas ont été enregistrés mardi, portant le total à 521, a appelé les citoyens à favoriser le travail depuis la maison et à éviter les déplacements non essentiels. « Si nous ne faisons rien, la situation va empirer », a dit Yuriko Koike, en précisant que la ville entrait dans « une phase critique » avant une « possible explosion des cas d’infection ». Mardi, il a demandé aux Tokyoïtes de s’abstenir de fréquenter les bars, les restaurants et les lieux de karaoké jusqu’au 12 avril prochain.
« Nous sommes à un moment crucial qui va déterminer si nous allons être en mesure de réduire les infections à venir », a dit lundi soir, en conférence de presse, le conseiller du gouvernement en matière de COVID-19, Satoshi Kamayachi, de l’Association médicale japonaise, tout en appelant le gouvernement à décréter l’état d’urgence avant qu’il « ne soit trop tard ».
Les autorités japonaises cherchent depuis le début de la crise à éviter la fermeture de la zone urbaine de Tokyo et des autres grandes villes du pays, pour ne pas porter atteinte à l’économie du pays, au bord de la récession et affecté par le report d’un an des Jeux olympiques qui étaient prévus en 2020.