Xi revêt les habits de Mao

Ce n’est pas qu’une question de vocabulaire. Le 3 septembre dernier, dans un discours livré devant les cadres du Parti communiste chinois (PCC) rassemblés à l’École de la formation politique, le président Xi Jinping a appelé à la mobilisation des forces vives du pays en utilisant le mot « lutte » plus de 50 fois.
Lutte ! Le terme est chargé de sens dans une Chine qui célébrait mardi les 70 ans de son régime, puisqu’au fondement du projet social et politique mis en marche par Mao Zedong le 1er octobre 1949. C’est ce mot qui a balisé cette vaste Révolution culturelle. Tout comme ses « campagnes de rectification ». Et c’est lui qui illustre désormais la nouvelle « maoïsation » en marche dans l’empire du Milieu, orchestrée à dessein depuis le début de son deuxième mandat par l’actuel président.
« C’est un grand retour en arrière », précise à l’autre bout du fil le géographe spécialiste de la Chine Éric Mottet. Il est professeur à l’UQAM.
« La Chine est à un moment déterminant de son histoire. La modernisation du pays est passée, depuis 1976, par une mise à distance de l’héritage de Mao [qui a laissé derrière lui une Chine affaiblie et un bilan de 50 millions de morts]. Et, dans les circonstances, ce rapprochement demeure bien sûr très singulier. »
Aucune photo officielle n’en témoigne, mais la presse sous contrôle du parti en a fait largement état : mardi, en marge d’un défilé spectaculaire scénarisé dans l’ostentation pour souligner les 70 ans du régime, Xi Jinping est allé rendre hommage au Grand Timonier dans son mausolée de la Place Tiananmen, en s’inclinant « trois fois » devant le corps embaumé de Mao pour témoigner de son respect au dictateur, a rapporté le quotidien Xinhua. Une communion qui, au-delà du symbole, passe désormais autant par l’attitude du président que par les politiques que son parti cherche désormais à imposer.

Autoproclamé président à vie en 2018, « Xi se comporte depuis comme Mao », estime Éric Mottet, et il le fait sans doute dans l’espoir de resserrer les rangs du peuple derrière lui, au moment où la Chine traverse « une période difficile ».
C’est que les aspirations démocratiques qui se font entendre depuis les territoires de Hong Kong, de Macao ou de Taïwan laissent présager en effet le début d’une « crise majeure », dit-il, crise que les tensions internes au sein du PCC, entre conservateurs et réformateurs, tout comme la crise de confiance des citoyens envers les dirigeants du pays pourraient venir sérieusement accentuer.
« Dans une période où les dangers et les défis s’accumulent sans cesse, les luttes qu’il va falloir mener ne manqueront pas, elles toucheront tant l’économie, la politique, la culture, la société, la construction d’une culture environnementale et celle d’une armée de défense nationale, le travail concernant Hong Kong, Macao et Taïwan que la construction du Parti, et elles seront de plus en plus complexes », a dit Xi Jinping devant les cadres rassemblés à l’École du parti début septembre.
« Le ralentissement de l’économie chinoise, alimentée également par les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, est en train de saper l’autorité du PCC, commente M. Mottet. Il fragilise également le contrat social chinois qui reposait sur le partage équitable des fruits de la croissance, sur l’éradication de la corruption ou sur la lutte contre la pollution. Et dans ce contexte, Xi adopte une position ferme avant tout pour surmonter la crise. De manière défensive. »
Propagande numérique
Selon le géographe, cette période maoïste en cours serait toutefois ponctuelle, même si ces modes d’expression cherchent à rendre sa propagande durable, comme en témoigne le lancement au début de l’année de l’application pour téléphone « Xuexi Qiangguo » — traduction libre : « étudier pour renforcer la nation » — qualifiée de version numérique du Petit Livre rouge de Mao Zedong. Tous les cadres et membres du parti doivent la télécharger afin d’étudier, seuls ou en groupe, les principes fondateurs du régime, mais également la pensée du président.
Cette maoïsation du régime passe également par le renforcement de la présence des membres du PCC au sein des entreprises, y compris des compagnies étrangères dont l’ouverture des portes sur le territoire chinois a suivi l’ouverture de la Chine sur le reste du monde. Cent mille de ces entreprises à capitaux étrangers sont visées par ces « cellules » du parti dont les membres mettent désormais leur nez dans la prise de décision.
Ce qui n’était pas le cas, il y a 10 ans à peine. Fin 2016, les trois quarts d’entre elles avaient été ainsi infiltrées, selon les chiffres officiels. Et ce, dans un processus alors en pleine accélération.
Le renforcement du contrôle des entreprises par le régime offre ainsi une relecture contemporaine des campagnes de dépossession des propriétaires terriens menées par Mao au nom des masses.
Signe d’une radicalisation du régime : la terminologie « dou zi zhu » — « combattre le propriétaire » — qui fait référence autant à un jeu de cartes populaire qu’à cette époque sombre dans l’histoire du pays, vient d’ailleurs de réapparaître dans les médias étatiques pour cibler plusieurs grands magnats de l’économie nationale.
Dernier en date : le milliardaire de 91 ans Li Ka-shing, géant de l’immobilier à Hong Kong que Pékin cherche à tenir pour responsable de la crise actuelle dans la ville État, crise qui, selon le PCC aurait été induite par la flambée du prix des logements.
Rappelons que c’est surtout la menace que fait planer le régime chinois sur les libertés civiles à Hong Kong qui ont fait descendre la jeunesse dans la rue et la répression policière qui a fait sombrer le mouvement dans la violence.
Cet été, les puissants hommes d’affaires Jack Ma, à la tête du site de commerce en ligne Alibaba et Ma Huateng, qui dirige la multinationale du numérique Tencent, ont également été rencontrés par des hauts gradés du régime pour se faire imposer au sein de leurs bureaux exécutifs un « agent de liaison » du gouvernement.
Avenir incertain
N’empêche, « sur le plan de sa politique étrangère, la Chine est plus ouverte au reste du monde qu’elle ne l’a jamais été, estime pour sa part Marie-Eve Reny, professeure de science politique à l’Université de Montréal qui trouve exagérée la comparaison entre la Chine de Mao et celle de Xi Jinping.
Mao avait une politique étrangère relativement fermée, et exclusive, qui se limitait à la coopération économique et militaire avec des pays communistes et non alignés. La Chine aujourd’hui coopère avec des pays, peu importe leur régime politique et idéologie. Et elle est aussi mieux disposée à appuyer certains d’entre eux économiquement et à contribuer à leur développement », poursuit-elle.
Mais jusqu’à quand? se demande M. Mottet. « Le maoïsme, c’est aussi le rejet des valeurs universelles, occidentales et du progressisme. Cela va devenir difficile pour les pays occidentaux de continuer à coopérer avec une Chine qui rejette nos valeurs », dit-il.
Une Chine qui n’est plus pauvre, affamée et rurale, mais désormais urbaine, moderne, connecté, puissante et ambitieuse, et qui, avec le retour du maoïsme, se prépare sans doute à un autre grand bon… vers l’inconnu.