Comment peut se terminer la crise à Hong Kong?

L’aéroport de l’archipel a connu mardi une deuxième journée de chaos apparent. Les rassemblements de manifestants prodémocratie ont forcé l’annulation, une fois encore, de centaines de vols.
Photo: Manan Vatsyayana Agence France-Presse L’aéroport de l’archipel a connu mardi une deuxième journée de chaos apparent. Les rassemblements de manifestants prodémocratie ont forcé l’annulation, une fois encore, de centaines de vols.

Selon la dialectique matérialiste chère aux Chinois communistes, dans les affaires humaines, la quantité se change inévitablement en qualité. Cette loi de la mutation par bonds explique qu’un manifestant ne change rien ou si peu, alors qu’avec un million ou deux millions de personnes prenant la rue, tout peut muter radicalement. Pour le meilleur ou pour le pire. A-t-on atteint le point de bascule à Hong Kong où les protestataires ne relâchent pas la pression depuis plus de deux mois ?

L’aéroport de l’archipel a connu mardi une deuxième journée de chaos apparent. Les rassemblements de manifestants prodémocratie ont forcé l’annulation de centaines de vols. La Chine a réagi en accentuant la menace d’une intervention. Les médias officiels ont diffusé des vidéos montrant la mobilisation de forces de l’ordre à la frontière de la région semi-autonome. Le président Trump a confirmé l’information en ajoutant que « tout le monde devrait rester calme et en sécurité ».

Le professeur de géopolitique de l’UQAM Éric Mottet, codirecteur de l’observatoire de l’Asie de l’Est, relativise un peu l’impression que Hong Kong (le « port aux parfums », en cantonais) est au bord du gouffre. La quantité de l’agitation reste indéniable. La qualité de ce qui se passe (mouvement, révolte, révolution ?), elle, reste difficile à cerner.

« C’est un mouvement d’agitation massif, mais pas si massif que ça, explique-t-il. Hong Kong n’est pas à feu et à sang. La journée, les gens vont travailler et l’activité économique fonctionne bien même s’il y a moins de tourisme. L’agitation est très localisée dans les nouveaux quartiers, un peu au centre-ville, maintenant à l’aéroport pour obtenir une exposition internationale très importante. Cela dit, même si les manifestations ne sont pas nouvelles, elles ont cette fois une ampleur nouvelle et elles sont plus violentes. »

Un sommet

 

Cette crise politico-sociale devient la plus importante depuis la rétrocession de l’ancienne colonie britannique en 1997. Plus importante que la « révolution des parapluies » (2014). Plus violente que l’« émeute des boulettes de poisson » (2016).

La nouvelle protestation a commencé dans la foulée d’un fait divers. L’an dernier, un Taïwanais expatrié a assassiné à Taïwan sa compagne enceinte, puis est rentré à Hong Kong. Le ressortissant étranger n’a pu être jugé pour son crime extraterritorial ni extradé, faute d’un traité bilatéral. Le gouvernement a donc décidé un amendement à la loi d’extradition pour inclure Taïwan, mais aussi Macao et la Chine continentale.

Les rassemblements ont commencé en février parce qu’une partie de la nouvelle loi semblait dictée par Pékin pour éventuellement arraisonner des militants prodémocratie. Les libertés se contractent déjà, par exemple, avec l’interdiction de partis politiques indépendantistes.

Les manifestants étaient déjà plus d’un million, début juin, et plus de deux millions, le 16 juin, pour la plus grande manifestation de l’histoire de la région. La chef de l’exécutif, Carrie Lam, a alors présenté ses excuses au peuple sans toutefois démissionner. Le projet de loi a été suspendu le 8 juillet.

Les protestations en tous genres (marches pacifiques, grève générale, occupations d’immeubles, etc.) se poursuivent tout de même pour obtenir l’annulation définitive de la loi d’extradition, la démission de Carrie Lam, l’organisation d’élection du conseil législatif au suffrage universel, la condamnation de la violence dite excessive par les forces de l’ordre et la libération inconditionnelle des émeutiers arrêtés.

« Les manifestants en ont contre la façon dont est géré Hong Kong aujourd’hui, explique le professeur Mottet. D’une part, ils critiquent le fait que les décisions sont prises essentiellement par Pékin. D’autre part, il y a une grogne quant aux difficultés socioéconomiques vécues par la population. »

Des fractures

 

Les fractures générationnelles, culturelles et économiques s’aggravent sur le petit territoire (1000 km2 pour 7,5 millions d’habitants). Pendant que le salaire moyen était multiplié par dix, le prix de l’immobilier gonflait 120 fois. Les jeunes se retrouvent en compétition directe pour les emplois avec d’autres jeunes venus du continent. Les vieux arrivent à la retraite sans pension et une personne de plus de 65 ans sur trois vit sous le seuil de la pauvreté et ne survit que par les dons des proches.

« Un fossé énorme se creuse davantage entre les riches et les pauvres, qui sont toujours les mêmes depuis les colonies britanniques », résume M. Mottet.

Un fossé énorme se creuse davantage entre les riches et les pauvres, qui sont toujours les mêmes depuis les colonies britanniques

À ces cassures s’ajoute une division culturelle. Le mouvement dit des localistes, né après 2014, considère que Hong Kong n’est pas la Chine continentale. Ce mouvement s’inquiète de l’arrivée massive de Chinois continentaux (dont 50 millions de touristes par année) qui imposent, par exemple, le mandarin contre le cantonais et l’anglais.

« Je vais régulièrement à Hong Kong et j’ai vu la différence, explique le professeur. Il y a vingt ans, tout le monde vous servait au minimum en anglais. Aujourd’hui, une personne sur deux ne maîtrise pas l’anglais. »

Trois hypothèses

 

Quantité. Qualité. On y revient. Alors comment cette situation explosive risque-t-elle de muter à court terme ? Le spécialiste voit trois possibilités de sortie de crise.

Réprimer. La première option ressemblerait à une Tian’anmen 2.0, trente ans plus tard, avec répressions musclées, voire massacre de masse. Éric Mottet n’y croit pas. « Une telle intervention aurait un coût politique, social et économique considérable pour Pékin, dit-il. La Chine serait mise au ban de sociétés occidentales. » Il ajoute que l’envoi de chars d’assaut entacherait les festivités importantes prévues en octobre pour célébrer le 70e anniversaire de la création de la République populaire. En plus, Pékin ne voudra pas nuire au candidat procontinental dans les élections de janvier à Taïwan.

Patienter. La deuxième possibilité consisterait à ne rien faire, ou si peu, pour laisser la grogne disparaître à la fin de l’été. Cette option attentiste n’exclurait pas l’ouverture de canaux de discussion pour négocier des compromis.

Céder. Dans la troisième voie, Pékin assouplirait le discours par rapport à Hong Kong tout en répondant favorablement à quelques demandes. La mise à l’écart de la dirigeante Carrie Lam semble assez envisageable. Une commission indépendante pourrait se pencher sur les violences et les arrestations. Et puis le projet de loi sur l’extradition serait annulé.

« À mon avis, la solution finale va se situer entre la deuxième et la troisième option, dit le professeur. En acceptant ces mesures, Pékin pourrait calmer les manifestants. Mais je ne vois pas du tout comment la Chine va accepter la réforme démocratique. Le risque est trop grand. »

Avec l'Agence France-Presse

Hong Kong en trois dates

1997. Les îles de Hong Kong sont rétrocédées à la Chine selon un traité signé 99 ans plus tôt après la fin d’une guerre avec la Grande-Bretagne. L’accord prévoit que l’ancienne colonie britannique conserve son « système économique et social » au moins jusqu’en 2047 pour ainsi créer « un pays, deux systèmes », selon la formule consacrée.

2014. La « révolution des parapluies » demande une élection au suffrage universel pour le chef de l’exécutif hongkongais. La protestation qui utilise des parapluies pour se protéger des gaz lacrymogènes s’étend sur 79 jours, contre 67 maintenant pour la nouvelle vague rebelle actuelle.

2016. L’émeute dite des boulettes de poissons a lieu à la suite de l’arrestation d’un vendeur de rue le soir du Nouvel An chinois, le 8 février. Les émeutiers adoptent des symboles repris dans les nouvelles manifestations de cet été, dont la tenue noire et masquée.


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