K-pop, l’art d’influencer le reste du monde

C’est le genre d’histoire que les Québécois aiment bien. La Corée du Sud, modeste pays coincé entre la Chine et le Japon, est devenue un géant économique et diplomatique en exportant sa culture populaire à grands coups de fonds publics — dans une langue inconnue hors de la péninsule coréenne.
On connaît tous les voitures Hyundai et les téléphones Samsung, mais la Corée du Sud expédie aussi partout dans le monde sa musique populaire, ses téléromans et ses jeux vidéo. Les experts ont même trouvé un nom pour ces exportations massives de culture : la « vague coréenne », hallyu en coréen.
Le phénomène a pris une telle ampleur que la Corée du Sud est passée de pays du tiers monde à quinzième puissance mondiale en une quarantaine d’années. La culture sert non seulement à faire tourner l’économie coréenne, mais elle diffuse aussi à très grande échelle une image idéalisée du pays. La culture populaire de la péninsule, surnommée K-pop, est devenue l’arme principale du « soft power » coréen.
« Mon message aux Montréalais, c’est que la culture populaire est vraiment importante, et pas juste pour les Coréens. La culture populaire peut influencer la réalité », dit Euny Hong, journaliste américaine auteure du livre à succès The Birth of Korean Cool, publié en 2014.
Un peu comme la K-pop, cet essai percutant est devenu viral et a été traduit en six langues. L’auteure de 44 ans est elle-même un pur produit de la mondialisation : née au New Jersey de parents coréens, elle parle quatre langues, dont le français, après un séjour de six ans à Paris. Elle a aussi vécu à Séoul dans le fameux quartier Gangnam, qui a donné son nom à une des vidéos les plus populaires de l’histoire de YouTube, Gangnam Style.
« Pouvoir doux » et grosse colère
« La vague coréenne n’est pas le fruit du hasard. Elle a été créée avec un soutien important du gouvernement coréen pour que la culture populaire devienne un instrument du soft power », dit Euny Hong, jointe à New York. Elle prononcera une conférence en français sur la hallyu à l’Université de Montréal — à l’invitation du Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM), ce vendredi soir.
Comme le Québec, la Corée du Sud a connu une sorte de révolution tranquille qui a fait entrer la péninsule dans la modernité, il y a quatre décennies. La « vague » culturelle coréenne vise aussi à affirmer l’identité nationale face à des voisins titanesques appelés Chine et Japon.
Les Québécois ont longtemps été mus par le ressentiment contre les « Anglais ». Les Coréens, eux, expriment une profonde colère contre les Chinois et les Japonais, voisins encombrants qui ont envahi successivement la péninsule. Ce sentiment de révolte est appelé han — et c’est le nom de l’ethnie chinoise majoritaire (phonétiquement parlant, le caractère chinois étant différent).
« Le han, c’est la colère ancestrale d’avoir été vaincus par plusieurs pays depuis des millénaires, dit Euny Hong. C’est aussi la motivation pour le succès de la Corée. Le gouvernement voulait dépasser la culture populaire japonaise. Samsung avait pour but de dépasser Sony. J’ai l’impression que ça a fonctionné. »
Stratégie de convergence
Pour tenir tête aux Chinois et aux Japonais, la petite Corée du Sud (51 millions d’habitants) a adopté avant l’heure une sorte de stratégie de convergence semblable à celle de Québecor : l’État a investi massivement dans Internet à haute vitesse pour devenir le pays le plus branché du monde. Les fonds publics ont soutenu la création de studios d’enregistrement et de salles de spectacle.
Le gouvernement verse 500 millions par année au ministère de la Culture dans le but précis de stimuler les exportations. L’État a aussi créé un partenariat public-privé de un milliard de dollars pour financer la production de culture populaire. Bien sûr, tous ces artistes chantent, dansent et jouent dans des téléséries en langue coréenne. Et le public suit leurs exploits sur un écran plat « made in Korea » par Samsung ou LG.
La multiplication de la bande passante partout dans le monde, il y a une décennie, a répandu la K-pop comme une traînée de poudre. Les artistes comme BTS, K.A.R.D ou Girls Generation se font connaître d’abord et avant tout sur YouTube. Des ados de Téhéran, de Paris ou de Montréal connaissent par coeur les chorégraphies de leurs idoles.
Respect pour l’autorité
L’État a augmenté les impôts des entreprises pour financer ce plan d’exportation culturelle. Le gouvernement a imposé sa stratégie aux chaebols, ces conglomérats hybrides, issus à la fois du public et du privé, selon une recette typiquement coréenne.
« Le gouvernement coréen a décidé qu’il fallait changer la direction de l’économie parce que le pays était trop dépendant des grandes entreprises. Par exemple, Samsung représentait un tiers du PIB. Après la crise financière de 1998, il était clair que l’échec éventuel d’une des entreprises mènerait le pays à la dépression », explique Euny Hong.
Une planification économique avec une main de fer comme celle-là serait impossible dans une démocratie occidentale. Le poids des traditions pèse encore lourd en Corée, observe Euny Hong. Elle se souvient du choc qu’elle a vécu en débarquant avec ses parents à Séoul, à l’âge de 12 ans, en 1985. « Pour une raison que j’ignore, il était interdit de mettre les mains dans nos poches, raconte-t-elle. Il était aussi interdit d’avoir les cheveux bouclés, sauf si c’était naturel. Et il fallait une attestation du médecin ! »
Euny Hong et d’autres se demandent maintenant si le soft power coréen viendra à bout de l’imprévisible régime nord-coréen, qui agite la menace d’une guerre nucléaire. « Chose certaine, les Coréens du Sud n’ont peur de rien. Toutes ces menaces de la Corée du Nord ne sont rien d’autre que du chantage. »
Précision : cet article a été mis à jour pour souligner la différence manuscrite des caractères « han » qui décrivent un sentiment de révolte et le nom l’ethnie chinoise majoritaire.