Aung San Suu Kyi en route pour une victoire écrasante

C’est comme une peinture avec de grandes taches rouges et des petits points verts. Après le vote historique de dimanche, qui a vu la participation d’environ 80 % des électeurs birmans, les cartes des circonscriptions de Rangoun ont été repeintes aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi.
À la Chambre basse du parlement, la plus importante avec 323 sièges, les premiers résultats portant sur 28 sièges indiquent que la Ligue nationale pour la démocratie (LND) en a remporté 25, contre deux pour le parti au pouvoir, l’USDP.
La commission électorale avait précédemment annoncé que la LND avait remporté 35 des 36 premiers sièges de députés, incluant Chambres haute et basse du Parlement et des assemblées régionales.
Ce raz-de-marée prévisible à Rangoun, dont le coeur a toujours battu pour Aung San Suu Kyi, est-il extrapolable à l’ensemble du pays ? Cela reste à voir, tant le vote ethnique dans les régions périphériques reste prépondérant. Il faut également attendre les résultats dans les campagnes et les bastions de l’USDP, où les dignitaires du parti au pouvoir ont ratissé le terrain depuis des mois en prévision du scrutin.
En l’absence de résultat officiel lundi matin, la Ligue d’Aung San Suu Kyi a de son côté avancé des chiffres. « Nous gagnons avec plus de 70 % des sièges à travers le pays », a expliqué Win Htein, le porte-parole de la LND, sur la base d’estimations réalisées par les militants du parti dans les bureaux de vote.
« Je ne dis rien »
Quelques minutes plus tôt, Aung San Suu Kyi était apparue au siège du parti, près de la pagode Shwedagon. « Je pense que le peuple a déjà une idée des résultats, même si je ne dis rien », a déclaré la chef de l’opposition en se gardant d’apparaître en victorieuse.
Une fois n’est pas coutume, les deux camps partageaient lundi la même analyse. « Pour les premières élections libres et justes en 25 ans, le 8 novembre, je dois admettre que l’USDP a perdu face à la LND. Nous accepterons ce résultat », a déclaré Htay Oo, le président du parti, qui s’est dit surpris par sa défaite. « Nous devons trouver la raison pour laquelle nous avons perdu », a-t-il confié à Reuters.
Plusieurs ministres ont été battus par des candidats de la LND. Une vague qui ne semble pas épargner des responsables du régime étiquetés comme réformateur. Ainsi Shwe Man, le président de l’Assemblée nationale qui s’est positionné comme un homme de dialogue, voire comme un partenaire d’Aung San Suu Kyi en n’excluant pas une réforme de la Constitution, a reconnu la perte de son siège et dit avoir félicité son adversaire de la LND.
Le parti au pouvoir et l’armée tiennent donc parole et acceptent le verdict des urnes qui leur est défavorable.
Depuis plusieurs mois, le président Thein Sein, qui est l’artisan de l’ouverture du régime et le chef d’état-major Min Aung Hlaing, le troisième homme fort du régime, n’ont pas varié dans leur discours. Après la fermeture des bureaux dimanche, ce dernier a d’ailleurs rappelé qu’« il n’y avait aucune raison pour nous de ne pas accepter » le résultat. Une telle attitude contraste avec le scrutin du 27 mai 1990, quand la LND avait infligé une cuisante défaite aux généraux en remportant 82 % des strapontins dans une assemblée qui n’a jamais siégé : la junte s’était assise sur le résultat et avait resserré la vis sécuritaire sur le pays et l’opposition.
Facteur d’incertitudes
Sachant que la constitution de 2008 réserve 25 % des places à des militaires, la LND doit obtenir 67 % des sièges élus au Parlement (330 dans les deux chambres) pour profiter d’une majorité absolue et décider qui sera le président. « Mais l’armée aura toujours la possibilité de refuser un candidat et que se passera-t-il alors ? », demande Khin Zaw Win, le directeur de l’institut de recherche et de consulta tion Tampadipa à Rangoun. « La nouvelle majorité devra également travailler avec les trois ministres sécuritaires qui ont déjà été nommés. Nous entrons dans une période délicate de discussion et de nomination tous azimuts qui va durer deux à trois mois. Aung San Suu Kyi a récemment évoqué la nécessité d’une réconciliation nationale et une forme de coalition pour diriger le pays. Elle est nécessaire en ce moment », explique l’ancien prisonnier politique Khin Zaw Win, qui continue à parler de l’armée comme d’un « facteur d’incertitude ».
Le Myanmar n’est pas une véritable démocratie
Washington — Les États-Unis ont de nouveau salué lundi les élections législatives historiques en Birmanie tout en soulignant que cet ancien régime militaire paria des Occidentaux était encore loin de s’être transformé en véritable démocratie.Washington a opéré avec la Birmanie un virage à 180 degrés depuis la démocratisation de 2011 en levant progressivement l’ensemble des sanctions économiques imposées dans les années 1990. Le président Barack Obama s’est rendu à deux reprises dans ce pays d’Asie du Sud-Est et a reçu son homologue birman Thein Sein à la Maison-Blanche.
« Nous savons tous qu’une élection, après 50 ans de dictature militaire, ne va pas rétablir la démocratie, mais cela a été clairement un sacré pas en avant pour le processus démocratique birman », a commenté le secrétaire d’État adjoint pour l’Asie, Daniel Russel.
Son ministre des Affaires étrangères, John Kerry, avait jugé dimanche soir dans un communiqué que « si ces élections sont un important pas en avant, elles sont loin d’être parfaites ».
M. Russel n’a pas voulu s’avancer sur les résultats du scrutin de dimanche. « Personne ne laisse entendre que cette élection s’est déroulée sans raté, […] mais en même temps on a des remontées d’informations qui font chaud au coeur », a-t-il commenté.
Il a toutefois relevé qu’en certains endroits du pays des électeurs avaient été empêchés de voter par des policiers ou des responsables birmans. Washington avait également dit son opposition au principe des sièges parlementaires réservés aux militaires ainsi qu’aux électeurs musulmans, notamment de la minorité rohingya, privés de leurs droits de vote.