Secoué par le séisme, Katmandou sort de l’impasse politique
L’ampleur du tremblement de terre, le 25 avril, avait démontré toute la faiblesse de la jeune démocratie népalaise. Depuis la fin de la guerre civile, en 2006, maoïstes, marxistes-léninistes et Parti du Congrès (centre droit) se succédaient au pouvoir sans que l’Assemblée constituante n’arrive à se mettre d’accord sur la structure même de l’État. Six semaines après le séisme qui a dévasté le pays, un accord historique a enfin été signé mardi, ouvrant la voie à l’écriture d’une nouvelle Constitution.
Pays unique ou fédération ? Fédération communautaire ou géographique ? Ce petit pays de 150 000 km2 et de 31 millions d’habitants, coincé entre l’Inde et la Chine, jamais colonisé, mais au système de castes très ancré, est une mosaïque de communautés d’agriculteurs et de montagnards aux identités fortes, qui parlent 123 langues différentes et envoient tous des représentants à l’Assemblée constituante, même si certains ne savent ni lire ni écrire.
Affichant une unité sacrée dans les jours suivant le tremblement de terre, les partis se sont enfin mis d’accord mardi sur la création de huit provinces et sur un calendrier posant les bases d’une structure fédérale, sans toutefois définir le tracé des frontières. Dès cette annonce, certaines communautés craignant d’être lésées dans le nouveau partage géographique, ont fait entendre leur voix, promettant une période houleuse sur le plan politique.
« Les responsables locaux, des bureaucrates corrompus »
Depuis le séisme, les parlementaires étaient pressés de toute part afin de mettre fin à leurs disputes stériles, à l’origine de l’inertie désastreuse de l’État népalais après la catastrophe. Pour l’écrivain Nayan Pokhrel, « le séisme a montré le meilleur et le pire du Népal. Une société civile forte et solidaire, qui a su organiser un système d’aide parallèle et efficace, mais aussi un gouvernement dépassé et un État structurellement défaillant. Il n’y a pas eu d’élections locales depuis 15 ans, les responsables locaux ne sont que des bureaucrates corrompus. »
Une semaine après le tremblement de terre, l’écrivain s’était rendu dans un village à 70 kilomètres seulement de la capitale, entièrement détruit, mais qui n’avait encore vu aucun fonctionnaire. « Les gens étaient énervés de voir que le monde entier se mobilisait et que leur propre pays ne faisait rien pour eux. C’est étonnant qu’il n’y ait pas eu plus d’incidents », ajoute-t-il, faisant allusion aux premiers convois d’aide népalais attaqués dans la vallée de Sindhupalchok, la zone la plus touchée, où les autorités avaient fait appel aux forces spéciales pour ramener l’ordre.
Le rôle de l’armée
Durant la crise, l’armée, organisée et décidée, avait pris de plus en plus de pouvoir, empêchant les pillages et s’arrogeant la distribution de l’aide internationale. Ce qui faisait craindre à certains une montée en puissance des militaires. Un scénario écarté par Krishna Khanal, professeur de sciences politiques à l’université Tribhuwan de Katmandou : « L’armée, dans l’ombre du mouvement démocratique depuis 2006, a repris un rôle actif. Mais elle n’a pas assez de soutien de la population pour monter un coup d’État. Sa hiérarchie est composée d’aristocrates qui voudraient remettre le roi sur le trône, mais la monarchie ne reviendra pas. »
La crédibilité de la famille royale avait été très affectée par le massacre de 2001, quand le prince héritier Dipendra avait assassiné ses parents et sept membres de la famille avant de se suicider. Le seul survivant, monté sur le trône à la faveur du massacre, n’a jamais gagné la confiance de ses sujets, qui l’ont destitué à l’issue d’une immense grève générale.
Désemparés, les Népalais ont néanmoins connu un regain de royalisme : une expatriée raconte que les habitants de la vallée de Katmandou « ont commencé à dire "si le roi avait été là, il y aurait eu une ligne directrice", "Si on avait gardé le roi [réincarnation du dieu Vishnou] la terre n’aurait pas tremblé". »
Opportunité perdue
Selon Krishna Khanal, le gouvernement du Parti du Congrès, au pouvoir ces derniers mois, n’est pas particulièrement responsable de la gestion catastrophique des conséquences du séisme : « C’est la structure même de l’État qui est inadaptée. » Même le député de la majorité Gagan Thapa ne ménage pas ses critiques : « Le gouvernement n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire. »
Prabath Jha, réalisateur et activiste, avait manifesté à Katmandou fin avril contre l’inaction « proche de zéro » du gouvernement : « Nous n’étions que quelques dizaines. Le ministère de l’Intérieur a certes été caillassé, et Prachanda, héros mao de la révolution, a pris la tête d’une manif. Mais la politique en général est discréditée. Les maoïstes ont perdu une opportunité : comme ils vivent toujours dans des camps, ils ne sont pas arrivés assez vite dans les zones sinistrées. Or, la révolution part des petits villages. »
En mai, le député maoïste Janardan Sharma mettait déjà en avant la nécessité de l’union politique : « Certes, le gouvernement a manqué d’efficacité et de coopération avec les autres partis. Mais nous l’aiderons à reconstruire le pays. »
Des privilèges
Depuis neuf ans, les trois principaux partis se relayaient au pouvoir sans produire la moindre avancée, empêchant toute réforme économique et laissant la bureaucratie et la corruption prospérer. Conséquence le pays, pourtant situé sur une zone très exposée, n’était pas préparé aux catastrophes naturelles (avalanches, inondations, glissements de terrain, séismes…).
« Le plan de contingence, élaboré par le gouvernement avec l’ONU et les grandes ONG, qui préparait la réponse à un tremblement de terre, n’était pas opérationnel, affirme une membre des Nations unies. Un numéro d’urgence avait par exemple été mis en place, mais personne ne répondait. L’aide arrive aux gens qui connaissent le mieux le système, et pas forcément à ceux qui en ont besoin. On livre des tentes aux autorités locales, et on peut les retrouver en vente au marché. »
Pour Rishi Jha, 30 ans, impliqué dans l’organisation associative des secours, le gouvernement n’était pas le seul coupable : « Nous non plus, les citoyens, n’étions pas prêts. Je pense que c’est lié à notre culture hindoue et ayurvédique, une façon de ne pas aborder de front les gros problèmes, de s’en remettre à la fatalité. » Dans le Sindhupalchok, Rosina Karki, une infirmière de 24 ans, résumait : « On est tellement habitués aux désastres. »
Malgré l’immense élan de solidarité international, le Népal reste un des pays les plus pauvres du monde. Les envois de fonds de l’étranger pèsent pour un quart de son PIB. 80 % des habitants sont occupés à une agriculture de subsistance, la moitié est analphabète et un coup terrible a été porté au secteur du tourisme. L’Inde, présent dans les secteurs de l’énergie et des médias, profite du vide politique pour mettre de plus en plus la main sur son petit voisin hindou aux ressources naturelles sous-exploitées : si la sortie de la crise politique se confirme, le Népal sera mieux armé face à ses puissants voisins.
Le séisme a montré le meilleur et le pire du Népal. Une société civile forte et solidaire, qui a su organiser un système d’aide parallèle et efficace, mais aussi un gouvernement dépassé et un État structurellement défaillant. Il n’y a pas eu d’élections locales depuis 15 ans, les responsables locaux ne sont que des bureaucrates corrompus.