Pays sans repos

Quand la nuit tombe à Katmandou, l’odeur de feu ressurgit. La ville cherche, pleure, incinère ses morts et brûle ses déchets.
Près d’une semaine après le puissant séisme du samedi 25 avril, les habitants de la capitale sont réveillés en pleine nuit par une secousse. Encore. Au bruit des fenêtres tremblantes s’ajoutent quelques cris, la peur encore non enfouie, l’instinct de survie. Et les chiens se remettent à aboyer à tue-tête.
C’est cette même peur qui se lit sur le visage de Jeet-Maya Lama. Même après cinq nuits à dormir dehors, agrippée à la terre, son coeur tremble toujours. Sous une bâche achetée à grand prix et tendue par des tuyaux de bambou, elle recolle son courage avec sa petite fille. Ils doivent être une cinquantaine de voisins à être réunis sous cet abri de fortune, sis sur un potager du quartier.
Sans pouvoir dire laquelle, Jeet-Maya confie qu’elle a pris « une pilule » pour se calmer. « Ça va mieux maintenant », assure-t-elle en offrant du thé. Retournera-t-elle dormir chez elle ce jeudi soir ? Elle répond « peut-être, possiblement », mais ses yeux disent le contraire quand ils regardent les murs des maisons autour.
Camper en ville
Le petit groupe a au moins la chance de pouvoir entrer et sortir de ses habitations à proximité. Dans le parc Tundikhel, au centre-ville, la plupart des Népalais qui campent encore n’ont plus de maison où retourner. L’odeur du désinfectant distribué dans un seau improvisé masque celle de l’affolement. Mais les rumeurs constantes sur l’imminence d’un tremblement de terre encore plus puissant hantent le sommeil des gens sur place. Ce camping forcé et précaire creuse des sillons sous leurs yeux.
Ceux qui pouvaient ont déjà commencé à rentrer chez eux peu à peu depuis mercredi. Sous les rideaux de fer à moitié fermés, on aperçoit des familles qui ont préféré s’installer dans leur commerce d’un étage plutôt que de retourner dans leur édifice lézardé. Dormir le plus bas possible reste la consigne générale.
Surtout, personne ne ferme à clé. Avant de poser la tête sur l’oreiller, on s’assure de pouvoir se précipiter dehors.
Vendredi, avec le nouveau jour vient l’espoir du retour à la vie normale. « Il faut bien continuer à vivre », glisse un vendeur en étalant ses masques sur une couverture, à la sortie du campement de Tundikhel.
L’effroi a fait place à cette préoccupation lancinante de la santé publique, à l’inquiétude de ce deuxième malheur qui pourrait émaner des corps coincés sous les décombres. Dans la rue, on nous arrête : « Vous devriez porter un masque, pour ne pas attraper les maladies des morts. »
Le commerce reprend dans les rues, timidement d’abord. La poignée d’enseignes ouvertes dès le matin encourage les autres boutiques, restaurants et fruiteries à montrer leur résilience. Le trafic infernal reste la meilleure indication que le sang a recommencé à affluer dans les artères de Katmandou. Pour une fois, les klaxons sont une bonne nouvelle.
La course aux tentes
Madan Waiba a bien senti cet appel de la vie et court à travers la ville pour trouver des tentes afin de secourir des milliers de personnes dans sa région d’origine, Kavrepalanchok. Le district n’est pas loin de Katmandou, mais les secours y sont pratiquement inexistants selon les informations reçues par M. Waiba à coups de conversations téléphoniques hachurées.
Il est travailleur social pour une ONG népalaise, SPSWO, qui travaille de pair avec Collaboration Québec-Népal, une association de Québec, depuis une quinzaine d’années. Madan Waiba, ou Makar, a passé plusieurs appels à d’autres organismes d’aide d’urgence. Partout, la même réponse : « On me dit soit que les stocks ne sont pas arrivés, soit ils sont insuffisants, soit ils partiront vers Sindhupalchok [la région la plus touchée par le tremblement de terre]. »
Habitué de se buter à ce genre de réponses, il entreprend de faire le tour des camps en ville. Dans celui de Tundikhel, ses compatriotes déjà installés lui confirment ce qu’il redoutait : l’aide arrive au compte-gouttes. D’une tente à l’autre, on entend « kahan jane ? », où irons-nous ?
Pour être certain d’avoir tout fait en son pouvoir, il veut visiter avant la nuit un autre grand camp, celui tout près de l’aéroport de Katmandou. Le camp de l’aéroport est vert et plus accueillant que celui, pollué, du centre-ville, mais l’organisation y est aussi déficiente. On raconte à Madan Waiba que seules quatre tentes ont été distribuées.
Il ne reste qu’à constater par lui-même la destruction de la place Durbar, un complexe de temples classé patrimoine mondial par l’UNESCO. Pour amorcer un deuil, et parce qu’il n’arrive toujours pas à y croire.
Sa trajectoire croise alors celle de Valérie Ann Amos, la secrétaire générale adjointe aux Affaires humanitaires des Nations unies. Il ne manque pas de remarquer que la voiture de la dignitaire détonne parmi les gravats. Elle est venue « évaluer le niveau de la réponse et coordonner les actions », selon le point de presse officiel.
Mais malgré toutes les énergies, l’argent et la bonne volonté investis, l’aide n’arrive jamais assez vite quand on dort sous une bâche et sous la pluie.