Pour des sacs de lentilles

À moins d’une quinzaine de kilomètres de la symbolique place Durbar de Katmandou, une autre place Durbar a pris un dur coup samedi dernier. Autour de la place qui fait face à l’ancien palais royal de Bhaktapur, les ruines des bâtiments effondrés n’ont pas encore été dégagées.
Jusqu’à 20 % des maisons se seraient effondrées, selon les autorités locales. Les briques de construction déjà précaires sont répandues dans l’enchevêtrement de passages étroits qui faisaient le charme de Bhaktapur.
Dans une ruelle sombre, quelques poulets déambulent, relâchés des cours intérieures. Des vêtements gisent entre les débris, probablement tombés de la corde à linge. On ne peut s’empêcher de penser que ceux qui marchent sur les amoncellements piétinent des tombes.
L’endroit a beau être en périphérie de Katmandou, avec une route toute lisse pour s’y rendre, il ne figure pas parmi les priorités. L’aide immédiate provient donc de la solidarité. Sentant cette urgence d’aider, Ramesh Pradhananga charge et décharge des sacs de riz et de lentilles depuis cinq jours.
Il serre les dents pour retenir sa fatigue, à l’image des bâtiments qui retiennent encore des corps dans leurs décombres. C’est que Ramesh n’a dormi que quelques heures depuis le grand bhukamba, le tremblement de terre. « En ce moment, on parvient à nourrir 5000 personnes réparties en cinq endroits stratégiques », décrit-il avec en arrière-fond les couteaux qui s’activent pour le repas du soir.
Et le coeur de sa petite armée de bénévoles est une vingtaine de jeunes femmes qui l’appellent « mon oncle », comme c’est la coutume au Népal. Ce sont des orphelines abritées et éduquées par la fondation Unatti, dont M. Pradhananga est responsable.
« J’ai acheté autant de riz que je pouvais et même si je n’avais pas l’argent comptant, le vendeur me connaît bien, alors il me fait confiance », affirme-t-il. Il n’a pas encore vu d’organisations débarquer dans le quartier, sauf pour distribuer des masques. Et en quantité insuffisante.
Mais le jeune père de famille n’a pas le temps d’être amer. Il est fier. « Les gens n’arrêtent pas de me remercier, alors je ne peux que continuer ! », ajoute-t-il. Cette solidarité ne suffirait pas à répondre aux besoins des sinistrés, mais « c’est tout ce qu’on a ». Il abrite aussi quelques personnes du voisinage dans un bâtiment en construction de cette fondation.
Cette cuisine collective devrait continuer au moins deux semaines, espère-t-il en grimpant dans un entrepôt improvisé adjacent. Et après ? Il ne sait pas. « Tous ces gens que vous voyez vivent au jour le jour. La majorité n’a pas de compte en banque. S’ils ne travaillent pas aujourd’hui, ils n’ont rien pour acheter de la nourriture. » Pour l’instant, le riz déjà en sa possession permettra de tenir au maximum quatre jours.
Les démunis des démunis
Dans la ruelle adjacente, une dizaine de personnes sont assises et discutent sous le porche d’une maison. La même histoire dans toutes les bouches, dans tous les camps. On vient de villages, on loue un appartement en ville, un membre de la famille est à l’étranger pour payer les prêts et les dépenses de toute une famille.
L’urbanisation sauvage et fulgurante de Katmandou a probablement joué en défaveur de la solidité des structures et du respect des normes sismiques minimales. Puisque, comme le rappelle notre bienfaiteur, « les séismes ne tuent pas, ce sont les maisons qui tuent ».
Mais même des constructions plus récentes n’ont pas su résister, comme ce centre commercial moderne, le CTC Mall, sur la rue, inauguré il y a cinq ans à peine. Il a craqué lui aussi.
Le pays touché est l’un des plus pauvres de la planète. La faim, une réalité quotidienne pour au moins le quart des Népalais qui vivent avec moins de 0,50 $ par jour, selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies. Aujourd’hui, Ramesh veille au moins sur quelques estomacs.