La stabilité d’abord

À la tête du Kazakhstan depuis l’indépendance en 1991, Noursoultan Nazarbaïev a été réélu dimanche avec un résultat « soviétique » de 97,7 %. Comment expliquer un tel résultat et l’absence d’une contestation politique visible dans le pays ? Explications d’Hélène Thibault, chercheuse postdoctorale au CERIUM.

Comment Noursoultan Nazarbaïev parvient-il à s’imposer ainsi ?

Bien que le pays n’ait pas connu d’alternance politique depuis l’indépendance et qu’une loi de 2010 ait attribué le titre officiel de « leader de la nation » à Nazarbaïev, l’élite travaille fort pour donner au pays un semblant de normalité et de stabilité afin d’attirer les investisseurs et de positionner favorablement le Kazakhstan sur la scène internationale.

Le changement de capitale vers la contemporaine Astana en 1997, la mise sur pied d’universités modernes où l’anglais est la langue d’enseignement, la construction d’un TGV sont tous des projets visant à moderniser et à diversifier l’économie. Le pays a obtenu la présidence tournante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 2010 et convoite l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de 2022.

L’idée, qui fait encore l’objet de débats, de changer le nom officiel du pays pour Kazakh Eli (Terre des Kazakhs) fait également partie de cette volonté de se détacher de l’image folklorique qui colle aux « Stans ».

Il est tout de même étonnant de ne voir aucun signe de contestation, surtout dans la foulée des révolutions pro-démocratie en Ukraine ou en Géorgie, aussi d’anciennes républiques soviétiques…

Cela s’explique d’une part par les changements juridiques et la répression politique ayant renforcé le contrôle de l’État sur l’espace médiatique et politique à partir du milieu des années 2000, en réaction notamment aux révolutions de couleur qui ont secoué la Géorgie et l’Ukraine. Malgré la pression politique, on y retrouve des médias indépendants et des forces d’opposition authentiques, ce qui n’est pas le cas en Ouzbékistan et au Turkménistan, par exemple.

D’autre part, la stabilité repose sur la capacité des élites à coopter l’opposition et à redistribuer la richesse générée par la manne gazière. Bien qu’imparfaite, cette redistribution a tout de même permis de réduire de façon significative le niveau de pauvreté, qui touchait seulement 3 % de la population en 2013. Le niveau de vie y est d’ailleurs beaucoup plus élevé que dans les républiques voisines. Par exemple, le PIB du Kazakhstan est, respectivement, de 4 et 28 fois supérieur à celui de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan.

Finalement, une des forces du régime a été de jongler habilement entre la reconstruction ethnonationale après l’indépendance et le respect des droits des minorités. Malgré des discours ethniques de factions politiques minoritaires, les tensions entre les communautés sur le terrain sont insignifiantes. Le pays a pourtant connu quelques périodes troubles, notamment dans la ville pétrolière de Janaozen en 2011, où une grève de travailleurs du pétrole a tourné au drame quand les affrontements entre policiers et manifestants ont fait 14 morts parmi ces derniers.

La résurgence de la Russie a-t-elle été un enjeu de cette élection ? Est-ce une crainte au Kazakhstan ?

Au-delà des discours flamboyants d’ultranationalistes russes tels que ceux de Vladimir Jirinovski, qui proposait d’annexer l’Asie centrale en tant que « Région fédérale d’Asie centrale », les relations entre les deux pays sont plutôt favorables. Cette relation est particulière du fait de la présence d’une grande minorité russe représentant environ 25 % de la population du Kazakhstan. Le pays compte parmi les membres fondateurs de l’Union économique eurasienne regroupant la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie, qui seront vraisemblablement rejoints par le Tadjikistan et le Kirghizstan. Cette organisation symbolise la volonté d’unifier la région, une des moins bien intégrées du monde.

Le président kazakh a toutefois récemment remis en question les chances de succès de l’Union, citant l’isolement de la Russie et les sanctions économiques. On a également vu apparaître une certaine opposition à l’intégration eurasienne au sein de la population, qui se méfie des ambitions russes dans la région.

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