À l’heure du nationalisme hindou
Élu haut la main en mai dernier, le premier ministre indien, Narendra Modi, un nationaliste hindou, en inquiétait plusieurs avec ses positions antimusulmanes et son style autoritaire. Près d’un an plus tard, qu’en est-il ? Explications de Gilles Verniers, professeur de science politique à l’Université Ashoka, en Inde.
Lors de la campagne électorale en 2014, on craignait que l’élection de Narendra Modi attise les tensions interreligieuses. Avait-on raison de s’inquiéter ?
Traditionnellement, le parti du premier ministre, le BJP, attise les tensions interreligieuses en amont des élections, pour tenter de rassembler une large partie de l’électorat autour d’une variable identitaire religieuse commune, ou pour diviser des alliances locales impliquant des musulmans et soutenant ses concurrents.
Une fois au pouvoir, le parti adopte une position de marginalisation des musulmans [qui représentent plus de 175 millions d’Indiens]. Cela passe par l’usage de référents hindous dans la communication politique et par le développement d’un discours glorifiant les racines hindoues de l’Inde ancienne. Cela passe aussi par des décisions politiques affectant directement les musulmans.
Ainsi, l’État du Maharashtra, dirigé par le BJP depuis décembre, vient de bannir l’abattage et la consommation de la viande de boeuf — dont des musulmans notamment font commerce —, rendant ces activités passibles de cinq ans de prison. Le même État vient de supprimer l’accès aux emplois publics réservés aux classes dites intermédiaires, dont certains groupes musulmans font partie du fait de leur statut socio-économique défavorisé.
La victoire de Narendra Modi a aussi libéré en Inde une parole conservatrice et réactionnaire, qui peut se diriger contre les musulmans. Depuis son ascension au pouvoir, des organisations nationalistes hindoues mènent des actions de conversion forcée de musulmans et de chrétiens. Tout cela contribue à créer un climat poussant les musulmans à s’effacer de la sphère publique.
On qualifie souvent Narendra Modi d’autoritaire. Est-ce juste ? Où cela est-il le plus manifeste ?
L’autoritarisme de Narendra Modi est le plus manifeste dans son style de gouvernance, très centralisé et hyperpersonnalisé. C’est un homme politique qui ne partage pas le pouvoir, qui est étranger à la concertation. Par exemple, il n’est jamais intervenu dans sa longue carrière politique dans un débat contradictoire. Il consulte beaucoup, écoute beaucoup, mais décide seul.
Ses propres ministres sont les premières victimes de ce système, les décisions étant prises par les services du premier ministre, qui entretiennent des rapports directs avec les hauts fonctionnaires.
Les nouvelles font état depuis deux ans d’une société ravagée par le viol. Le problème est-il largement reconnu en Inde ? Le gouvernement s’y attaque-t-il ?
Le portrait d’une société ravagée par le viol est sans doute une image excessive, au sens où les statistiques placent l’Inde à des niveaux semblables à d’autres pays, comme la France, les États-Unis ou le Canada, où l’on n’utiliserait pas ce type d’expression.
Pour autant, le viol collectif d’une étudiante de New Delhi en décembre 2012 a marqué un tournant dans la prise de conscience du problème des violences faites aux femmes et sur la question plus générale de la place de la femme dans la société indienne. Les acteurs de ce changement viennent de la société civile, qui s’était mobilisée en masse après cet événement tragique. Le gouvernement précédent fut contraint de répondre à cette mobilisation sous la forme d’un rapport, dit Verma, qui recommandait une série de réformes du système judiciaire et de la police. Les réformes proposées allaient dans le bon sens et leur mise en oeuvre a pour partie commencé. Cependant, rien n’indique que les incidences de viols ont diminué depuis cette mobilisation.
Les jeunes générations, les femmes en particulier, donnent des signes que les anciennes formes de patriarcat et de soumission des femmes ne seront plus acceptées à l’avenir. Si changement il doit y avoir, il sera lent et très progressif.