Japon - Créer une ville sans carbone

Kitakyushu – Depuis un an, une nouvelle station-service intrigue les conducteurs qui passent par Kitakyushu, une ville industrielle d’environ un million d’habitants située dans le sud du Japon. Alors qu’ils s’arrêtent pour faire le plein à quelques mètres de là, tout le monde se demande à quoi peut bien servir cette station de distribution d’hydrogène.
Depuis déjà trois ans, Toyota, Honda et Nissan ont uni leurs forces pour développer des modèles de voitures qui fonctionneraient uniquement avec une pile dont le combustible serait l’hydrogène. De nombreux scientifiques croient que ce gaz pourrait être une bonne source d’énergie dans l’avenir, mais encore faut-il l’apprivoiser.
L’hydrogène ne se trouve d’abord pas seul sur terre. Comme il se jumelle principalement à l’oxygène, la source la plus commune d’hydrogène est l’eau. En plus, c’est un gaz léger, inodore et incolore, donc difficile à capter, à transporter et à stocker.
« Notre grand défi est de développer, en même temps que les véhicules à hydrogène, des points d’alimentation, et surtout, des sources d’approvisionnement », mentionne monsieur Suematsu. « Si nous n’avons pas les infrastructures, qui voudra acheter ces voitures quand elles seront disponibles ? », demande-t-il.
Première mondiale
Kitakyushu a ainsi décidé de prendre les devants en créant un prototype de ville alimentée à l’hydrogène. Un pipeline de 1,2 kilomètre de long, enfoui à un mètre sous terre, a été construit pour transporter de l’hydrogène vers des immeubles d’habitations et des lieux publics. C’est une première mondiale.
« L’hydrogène est capté à partir de la vapeur produite par l’immense usine de sidérurgie située en plein coeur de la ville, explique monsieur Suematsu en pointant un gros panache de fumée au loin. Le gaz est alors emmagasiné, puis acheminé à la station-service. De là, un pipeline apporte l’hydrogène vers les édifices qui sont tous dotés d’une pile à combustible qui injecte de l’oxygène lorsque l’hydrogène arrive pour produire de l’électricité. »
Assis dans son bureau à l’hôtel de ville, le directeur de la stratégie internationale pour l’environnement, Reiji Hitsumoto, déborde d’enthousiasme par rapport à ce projet. Selon les premiers résultats, les piles à hydrogène, d’une puissance de 1 à 3 kilowatts, fournissent de 20 à 60 % des besoins électriques des immeubles raccordés au pipeline, et ce, sans émettre de CO2.
Néanmoins, les environnementalistes déplorent que l’hydrogène soit capté à partir de la vapeur des hydrocarbures, ce qui est loin d’être écologique. « On ne peut pas tout régler du jour au lendemain. Il faut prendre un problème à la fois », affirme sans hésiter monsieur Hitsumoto. « Si vous aviez vu Kitakyushu dans les années 60. C’était une ville qui se vantait d’avoir sept différentes couleurs de fumée dans le ciel, il était impossible de voir le fond de l’eau, et les enfants rentraient de jouer dehors couverts de suie. Il nous a fallu plus de 20 ans pour tout dépolluer, et ça nous a coûté au moins 8 milliards de dollars », raconte-t-il en précisant que tout le monde y a mis du sien, tant les gouvernements, les entreprises que les citoyens.
Modèle de ville verte
Kitakyushu a même été baptisée la ville du miracle. Elle figure maintenant parmi les villes écologiques du Japon, en plus d’avoir été choisie comme modèle de ville verte par l’OCDE. Difficile à croire en voyant la dizaine de cheminées d’aciérie et de fonderie qui borde la baie de Dokai.
« Nous sommes une ville d’industries lourdes, c’est sûr qu’elles émettent des gaz carboniques, mais nous cherchons des solutions pour réduire de 50 % nos CO2 d’ici 2050 », note monsieur Hitsumoto.
Pour y arriver, les responsables de Kitakyushu multiplient les initiatives comme celles de la ville alimentée à l’hydrogène. Il y a quelques années, un quartier entier a été transformé en centre de recyclage, où 26 entreprises récupèrent absolument tout : les vieux téléviseurs, les appareils électroniques, les métaux, les pièces automobiles, et même l’huile de cuisine. Plus loin, un ancien site d’enfouissement a été converti en réserve naturelle où des oiseaux en voie de disparition sont de retour. D’ici la fin de l’année, un million d’arbres y seront plantés dans le cadre du projet « une forêt dans la ville ».
Partout en ville, des systèmes intelligents d’économie d’énergie sont aussi en train d’être installés dans les maisons et les entreprises pour réduire la consommation de chauffage et d’électricité. La municipalité a fait un pas de plus en ajoutant des panneaux solaires sur les toits des gares et des abris d’autobus, en faisant pousser des jardins sur les édifices publics ou en installant des éoliennes.
« Ce qu’il faut, c’est aussi d’encourager nos entreprises à produire et à transformer ici. Nous créons de cette façon de l’emploi, et en plus, nos règles environnementales sont beaucoup plus sévères qu’ailleurs en Asie », indique M. Hitsumoto en sortant du coup un catalogue de produits certifiés éco-premium.
« Nous avons développé cette certification afin d’identifier facilement les produits locaux. Les produits portant la mention éco-premium sont véritablement fabriqués à Kitakyushu, comme ce robinet économiseur d’eau, cette pompe de filtration ou ces ampoules LED de Toshiba », dit-il en feuilletant le document. « Pour créer une ville sans carbone, il n’y a pas qu’une seule solution. Toutes nos actions sont importantes, à un point tel que même ma cravate est fabriquée avec des produits recyclés ! »
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Collaboration spéciale