La communauté internationale exhorte la Chine à libérer le Nobel de la paix

Il y a eu une manifestation à Hong Kong hier soir pour demander la libération de Liu Xiaobo.
Photo: Agence Reuters Bobby Yip Il y a eu une manifestation à Hong Kong hier soir pour demander la libération de Liu Xiaobo.

La communauté internationale se passait le relais hier pour exhorter le gouvernement chinois à libérer Liu Xiaobo de prison, où le nouveau récipiendaire du prix Nobel de la paix purge une peine de 11 ans pour «incitation à la subversion de l'État». En Chine, la nouvelle était plutôt censurée.

Liu Xiaobo, 54 ans, est un homme de lettres. Jusqu'à son arrestation, le 25 décembre dernier, il passait son temps à lire Kafka et Vaclav Havel, à écrire des poèmes et à fumer dans son petit appartement situé en périphérie de Pékin. Mais il utilisait aussi les mots pour défendre les paysans expropriés, les grévistes épuisés ou les avocats sans recours dans des textes ou des pétitions.

Sa vie de militant a commencé en 1989, en plein sur la place Tian'anmen. Il y est atterri après avoir quitté son poste de professeur de littérature à l'Université Colombia de New York. Après les tirs de l'armée chinoise sur les manifestants, il s'est fait arrêter et a vécu son premier séjour en prison. Il y est retourné à quelques reprises, toujours pour avoir défendu, pacifiquement, les droits de la personne. En fait, M. Liu est tellement pacifiste qu'il ne fait pas l'unanimité, même auprès des militants. Trop modéré, disent certains, dont le grand dissident chinois réfugié aux États-Unis, Wei Jingsheng.

Liu Xiaobo a ainsi reçu le prix Nobel de la paix 2010 pour «ses efforts durables et non violents en faveur des droits de l'homme en Chine», a expliqué hier le comité de sélection, nommé par le Parlement norvégien. La Chine a rapidement qualifié la nomination d'«obscène» et a indiqué qu'elle pourrait remettre en question les relations du pays communiste avec la Norvège. L'ambassadeur de la Norvège à Pékin a d'ailleurs été convoqué hier au ministère chinois des Affaires étrangères. Pourtant, le premier ministre, Wen Jiabao, avait plaidé pour la démocratie dans une entrevue accordée à CNN dimanche dernier. Une nouvelle censurée également au pays.

Le premier ministre Stephen Harper a dit espérer, «maintenant qu'il [Liu Xiaobo] a remporté le prix Nobel de la paix, que nos amis du gouvernement chinois vont envisager sérieusement la question de sa libération». Le Parlement européen, des organisations de défense des droits de la personne et de nombreux chefs d'État ont également demandé la libération du lauréat. Le Prix Nobel de la paix de 1989 et chef spirituel des Tibétains, le dalaï-lama, a même appelé à la libération «d'autres prisonniers d'opinion qui ont été incarcérés pour avoir exercé leur liberté d'opinion».

Le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, Ban Ki-moon, a quant à lui pris le soin de reconnaître les efforts récents du gouvernement chinois. «Ces dernières années, la Chine a réussi des avancées économiques remarquables et a tiré des millions de gens de la pauvreté, elle a élargi la participation politique [...].»

Liu Xiaobo est le neuvième Chinois lauréat du prestigieux prix, mais il est le premier qui le reçoit alors qu'il habite toujours en Chine.

Question d'interprétation


Le professeur spécialisé en gestion des affaires internationales à l'Université Laval, Zhan Su, doute de l'efficacité du signal lancé par la communauté internationale pour faire avancer la démocratie au pays de Mao. «Beaucoup de Chinois pourraient se sentir insultés, pense l'universitaire d'origine chinoise. Ils vont se demander: "Pourquoi nous attaquer? L'Occident nie tout ce qu'on a fait comme progrès depuis 30 ans".» En somme, le geste pourrait être mal compris.

Surtout que dans la culture asiatique, il est primordial de préserver sa dignité, de «ne pas perdre la face». Les critiques quant au respect des droits de la personne en Chine, qui ont fusé dans la communauté internationale lors des Jeux olympiques à Pékin, ont surtout choqué les Chinois, estime Zhan Su, plutôt que de faire avancer la cause. «Ils veulent parfois résister à l'Occident et s'affirmer. Un peuple qui se sent attaqué se replie sur lui-même.»

Oui, la population a envie de s'ouvrir à la démocratie, reconnaît celui qui se rend régulièrement au pays, mais les gens ont encore l'impression que le système actuel leur a apporté de bonnes choses. «Il y a un certain malaise dans la population, car depuis 30 ans, la logique, c'est: petite liberté et sacrifices pour assurer la croissance de l'économie.» Les dissidents sont ainsi parfois perçus comme des personnes qui peuvent amener le chaos et faire échouer l'économie.

Le peintre et sculpteur qui a participé à la conception du Stade olympique de Pékin, Ai Weiwei, voit les choses autrement. Il est heureux que la planète se soucie encore des droits de l'homme en Chine. «La nouvelle est censurée, mais va se diffuser très rapidement sur Internet et Twitter, a-t-il confié au journal Libération. Cela va inciter les jeunes Chinois à réfléchir sur la signification des valeurs fondamentales et humaines. Et faire comprendre à beaucoup que le développement économique n'est pas suffisant à lui seul, et qu'une société a besoin de plus de profondeur humaine.»

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Avec Libération, l'Agence France-Presse et La Presse canadienne

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