Voyage dans la soute du G8
Pas facile, le métier de journaliste, lorsqu'il s'agit de couvrir les grandes conférences internationales. Le correspondant de Libération nous fait part de son expérience au G8.
Arriver à Hokkaïdo, dans un no man's land apparemment peuplé que de policiers, de droïdes robocop en lunettes de soleil, de checks points surmontés de caméras et de radars. Montrer une fois, dix fois patte blanche avant de gagner un hôtel sous quasi couvre-feu. Converser des heures avec des ONG, des syndicalistes ou militants pour l'accès aux médicaments. Retrouver des visages (rencontrés depuis les premiers forums sociaux mondiaux de Porto Alegre, ou d'autres, nouveaux, découverts au sommet sur le climat de Bali, les traits tirés, qui veulent croire aux vertus du lobbying, de l'intérieur ou de l'extérieur, ici, à Rusutsu, ou à Sapporo, à 50 kilomètres de là). S'entendre dire — et acquiescer — que «tout cela n'est qu'une farce», comme le raconte un paysan de Via Campesina qui compte tout faire pour que cela «le soit le moins possible»? Donc être là. Se battre. Et faire pression, version société civile. En mode journalistique, cela veut simplement dire tenter de raconter ce que l'on nous donne à voir. Et à lire.***
Découvrir, interdit, le balais des avions et des tapis rouges à l'écran de contrôle de la salle de presse biodégradable, climatisée avec de la neige, alors qu'il fait 20 °C pluvieux dehors. Se résigner à partir du centre de presse pour aller écouter un chef d'État à Toyako, à 25 km de là. Re-portiques de sécurité, re-bus à répétition, re-attitude de moutons sortis de la bergerie. À Toyako, découvrir l'hôtel en forme de fer à repasser qui sert de tour d'ivoire aux grands de ce monde. L'investir par ses entrailles (pressing, buanderie, etc.), ressortir par le golf avec vue sur le Pacifique d'un côté, vue sur le lac volcanique de l'autre. Puis, entendre Nicolas S. discourir pendant une heure sur les «avancées» du G8, on en a parlé dans le journal. Mettre encore deux heures pour regagner la case blindée du centre de presse international, par téléphérique. Revoir, plus tard, le même Nicolas S., coincé entre deux autres chefs d'État, espérer que les sherpas rappliquent pour lui traduire ce que se disent, en anglais, ses pairs.
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Se dire que c'est un jeu à somme nulle, et qu'il faut jouer le jeu. Décrypter les communiqués qui tombent et tenter d'y voir une percée, un brin d'avancée. Lire entre les virgules, s'immiscer dans le sabir des experts, s'accrocher au moindre chiffre, à la moindre date, histoire de trouver des balises auxquelles se raccrocher dans le flux de mots insignifiants à l'échelle du non-initié, du hors-cénacle. Rire ou pleurer, à la vision des chefs d'État pris en photo en train de bêcher pour planter un arbuste, au moment où tombe une information qui clignote «URGENT: accord du G8 pour réduire de 50 % les gaz à effet de serre d'ici à... 2050». Décrypter l'affaire avec soi-même, et d'autres. «Coquille vide» avec une experte du WWF. «Coquille à moitié pleine», avec autre expert du Pew Center, un think tank pointu sur le climat. Se pincer les lèvres quand défile, chaque jour, les 19 plats au menu du dîner «de travail» des huit chefs d'État qui pèsent 60 % de la richesse de la planète.
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Se repasser les images des chefs d'État africains invités pour la photo, et qui jouent le jeu avec de grandes claques dans le dos des pays riches. Se demander pourquoi aucun d'entre eux n'a voulu, pu, osé venir dire tout le bien (ou tout le mal) qu'il pense du cimetière des promesses non tenues. Sourire au lamento de conseillers qui estiment que tout ça, «cela devient pire que l'ONU, une machine à produire du consensus mou». Et se dire qu'il faudrait répondre que non, que l'ONU a une autre légitimité et fait avancer les choses. Que le fait de réunir 192 pays pour parler de développement, de climat ou d'alimentation donne une photo un peu plus réelle du monde d'aujourd'hui. Discuter avec des conseillers d'une délégation dans l'avion du retour, grands commis de l'État mandatés depuis un an pour «faire rentrer du sens» dans les communiqués finaux. Retenir cette phrase: «Le G8, c'est le seul pilote de la mondialisation...» Atterrir, et ressentir comme une impression de décalage. Pas uniquement horaire.