Le G8 balaie les GES sous le tapis

Les leaders du G8 Silvio Berlusconi (Italie), Stephen Harper (Canada), Dmitri Medvedev (Russie), George W. Bush (États-Unis), Yasuo Fukuda (Japon), Nicolas Sarkozy (France), Angela Merkel (Allemagne) et Gordon Brown (Grande-Bretagne), et le président d
Photo: Agence France-Presse (photo) Les leaders du G8 Silvio Berlusconi (Italie), Stephen Harper (Canada), Dmitri Medvedev (Russie), George W. Bush (États-Unis), Yasuo Fukuda (Japon), Nicolas Sarkozy (France), Angela Merkel (Allemagne) et Gordon Brown (Grande-Bretagne), et le président d

Trop peu, trop tard. L'accord sur la réduction de moitié des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 auquel sont parvenus hier les pays membres du G8, y compris les États-Unis, l'un des plus fervents opposants, n'impressionne pas les principaux groupes de défense de l'environnement. «C'est de la poudre aux yeux», a estimé Arthur Sandborn, porte-parole de Greenpeace. «Leur communiqué n'offre virtuellement rien de plus que l'entente à laquelle étaient parvenus les pays à Bali et à la réunion du G8 l'an dernier», croit-il. «C'est très décevant parce qu'ils ne veulent pas prendre le leadership devant le pire problème auquel l'humanité fait face à court terme», a-t-il ajouté.

Au dire de ses détracteurs, l'accord conclu hier à Toyako reste trop vague pour être réellement contraignant. Les dirigeants du G8 n'ont pas fixé d'année de base à partir de laquelle serait calculée la réduction de 50 % des émissions, ni aucun objectif de moyen terme comme l'ont fait les pays européens. Les États-Unis insistent pour que le calcul de réduction des émissions de GES soit fait à partir du volume actuel, un objectif plus facile à atteindre.

Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), le changement climatique est «sans équivoque» et appelle à une action sur le court terme: la température moyenne mondiale a déjà augmenté de 0,74ûC en 100 ans et pourrait grimper de 1,8 % à 4 % d'ici à 2100 par rapport à la fin du XXe siècle.

«Les spécialistes du climat le disent: plus on attend et pire ce sera», a fait remarquer Julia Langer, porte-parole du Fonds mondial pour la nature (WWF) section Canada.

Selon le président du GIEC, Rajendra Pachauri, la communauté internationale a «une fenêtre de tir» de sept ans seulement, car les émissions doivent absolument commencer à décroître à partir de 2015.

Le ministre sud-africain des Affaires environnementales, Marthinus van Schalkwyk, a aussi fortement critiqué l'absence d'objectifs intermédiaires ambitieux, estimant que «l'objectif à long terme, tel qu'il est exprimé dans la déclaration du G8, est un slogan vide».

Le duel G8 contre les pays émergents

La chancelière allemande Angela Merkel a de son côté salué un «pas en avant majeur» par rapport au sommet de Heiligendamm, en Allemagne, l'an dernier. «Aujourd'hui, le Canada comme les États-Unis adoptent [...] cet objectif. C'est une grande nouveauté», s'est aussi réjoui le président français Nicolas Sarkozy en saluant «le progrès» dans le dossier.

Or, si l'accord est effectivement conditionné à un geste équivalent des pays émergents, ceux-ci, qui devaient être conviés ce matin à Toyako, risquent toutefois d'être difficiles à convaincre. Car, hier, les dirigeants chinois, indien, mexicain, brésilien et sud-africain réunis dans la ville voisine de Sapporo ont jugé «essentiel» que les pays industrialisés, principaux responsables de la pollution jusque-là, prennent la tête de la lutte contre le changement climatique. Et la barre est haute pour les pays riches: ils les ont exhortés à se fixer des objectifs nettement plus ambitieux de réduction d'environ 25-40 % de leurs émissions d'ici 2020 et de 80-90 % d'ici 2050.

«C'est le jeu de "qui va faire le premier pas". Il est clair que les pays émergents doivent se soumettre aux obligations de Kyoto, mais les pays du G8 doivent se donner un échéancier à court terme pour prendre le relais de Kyoto», a fait remarquer Julia Langer.

«Il y a un réel besoin d'une action concertée dans le domaine, ce qui ne veut pas dire que chaque pays a une responsabilité et des cibles égales», a-t-elle ajouté. Elle rappelle qu'à eux seuls, les pays du G8 sont responsables de plus de 60 % du dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère.

«Les pays riches aiment bien faire ressortir le fait que la Chine, qui croît à grande vitesse, aura bientôt des émissions très importantes. Mais dans les faits, ses émissions sont actuellement moindres que celles des États-Unis et le progrès que [le pays] fait en énergie renouvelable est considérable».

Répondant aux critiques sur le sujet, le premier ministre japonais, Yasuo Fukuda, a assuré que les pays du G8 se fixeraient des objectifs individuels «énergiques» à moyen terme.

La stratégie canadienne

Le premier ministre du Canada, qui s'est félicité d'être parvenu à un tel accord, s'est pour sa part vu ridiculiser par les partis d'opposition et les groupes écologistes. «En matière de lutte contre les changements climatiques, l'empereur est nu», a déclaré le porte-parole libéral en matière d'environnement, David McGuinty.

«Pendant que l'Europe de l'Ouest prend des mesures radicales pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et donner un coup de fouet à son économie, le gouvernement conservateur se vante d'avoir convaincu les États-Unis de signer un accord médiocre, dont la formulation est vague et bureaucratique», a-t-il poursuivi.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, a quant à lui qualifié le Canada de «traînard international» dans la lutte contre les changements climatiques. Il a également critiqué le premier ministre pour avoir fait preuve de mépris en ne tenant pas compte des cibles adoptées par la Chambre des communes relativement aux changements climatiques il y a quelques semaines.

Selon Michael Erdman, analyste politique pour le Groupe de recherche sur le G8 basé à Toronto, le Canada essaie tant bien que mal de se tirer d'affaire. «Le Canada veut convaincre qu'il va effectivement négocier mais tient à rappeler que, si ses émissions sont élevées, c'est qu'il fait partie des grands producteurs de la planète», soutient M. Erdman. Selon lui, Stephen Harper essaie de plaider pour qu'on lui octroie une plus grande flexibilité concernant les cibles de réduction d'émissions de GES, en avançant d'une part que le pétrole canadien contribuera à faire baisser le prix de l'essence et aidera à résorber la crise alimentaire. «En échange d'une plus grande flexibilité, il fait valoir qu'il se concentrera sur le développement des nouvelles technologies, comme celle permettant d'absorber à la source et d'enfouir le carbone», a dit M. Erdman.

Il soutient que le gouvernement Harper prépare déjà le terrain pour le sommet du G8 en 2010, dont le Canada sera l'hôte. «Tous les yeux seront alors tournés vers le Canada, tandis que les questions comme le sida et l'aide au développement en Afrique seront à l'ordre du jour», a-t-il noté.

L'économie et l'Afrique

Les pays du G8 se sont également entendus pour doubler leur aide financière à l'Afrique. Ils ont annoncé qu'ils se donnaient cinq ans pour débloquer 60 milliards de dollars pour lutter contre les maladies infectieuses en Afrique.

Accusés par les Africains et les ONG de ne pas tenir leurs promesses d'aide, ils ont renouvelé leur engagement de doubler leur assistance à ce continent d'ici 2010 pour la faire passer de 25 à 50 milliards de dollars par an.

Sur le front économique, les dirigeants du G8 ont également fait part hier de leur «vive inquiétude» devant la flambée des prix du pétrole et des produits alimentaires, tout en soulignant que les perspectives à long terme leur paraissaient toujours positives.

Ils ont appelé à la hausse de la production pétrolière et des capacités de raffinage, ainsi que des investissements dans le secteur.

Nicolas Sarkozy, qui plaide pour un élargissement du G8 à d'autres pays (G13), a par ailleurs annoncé que la Chine, l'Inde, le Brésil, le Mexique et l'Afrique du Sud seraient amenés à jouer un rôle plus important lors du prochain sommet en Italie. Les dirigeants de ces pays participeront ainsi au sommet pendant une journée entière, contre une demi-journée cette année.

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avec Associated Press et l'Agence France-Presse

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