L’ex-président péruvien Pedro Castillo destitué et arrêté, sa vice-présidente investie
![Une photo publiée par l’Administración de Justicia Peruana [Administration de la justice du Pérou] montre le président destitué Pedro Castillo (deuxième à gauche) s’entretenant avec des procureurs péruviens après que le Parlement a voté sa destitution.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1435059_1101994/image.jpg)
Le président du Pérou Pedro Castillo a été destitué et arrêté mercredi, et sa vice-présidente, Dina Boluarte, a été investie à la tête de ce pays qui a l’habitude des crises politiques, au cours d’une journée riche en rebondissements.
La troisième procédure de destitution a eu raison de celui qui a tenté son va-tout jusqu’au bout en annonçant la dissolution du Parlement qui tentait de le faire tomber. Avec succès donc, cette fois.
Entré en fonction en juillet 2021, Pedro Castillo, 53 ans, a été « placé en état d’arrestation », a annoncé à la presse la procureure Marita Barreto, après la publication par l’administration judiciaire d’images montrant l’ancien chef de l’État assis dans un fauteuil et entouré de procureurs et de policiers.
Une source judiciaire a précisé à l’AFP qu’une enquête pour « rébellion », après sa tentative de dissolution du Parlement, avait été ouverte contre M. Castillo, qui n’aura dirigé le pays que dix-sept mois.
Elle vient s’ajouter aux six autres enquêtes pour corruption ou trafic d’influence le visant, dont sont également accusés des membres de sa famille et de son entourage politique.
Sa destitution pour « incapacité morale », retransmise en direct à la télévision, a été approuvée par 101 des 130 parlementaires, dont 80 dans l’opposition.
Dans un effort de dernière minute pour tenter une nouvelle fois d’échapper à une destitution, l’ancien président avait annoncé la dissolution du Parlement quelques heures seulement avant que ce dernier ne se réunisse pour débattre de son sort.
Il avait également annoncé la mise en place d’un « gouvernement d’urgence exceptionnel », vouloir « convoquer dans les plus brefs délais un nouveau Congrès doté de pouvoirs constituants pour rédiger une nouvelle Constitution », et déclaré « le système judiciaire, le pouvoir judiciaire, le ministère public, le conseil national de la justice, la cour constitutionnelle » en « réorganisation ».
Une manoeuvre sans soutien donc sans effet, rapidement qualifiée de « coup d’État ».
« Aujourd’hui, il y a eu un coup d’État dans le plus pur style du XXe siècle […] Ce coup d’État n’a aucune base juridique », a dit le président de la Cour constitutionnelle, Francisco Morales, estimant que « personne ne doit obéissance à un gouvernement usurpateur ».
La procureure générale du Pérou, Patricia Benavides, a rejeté « toute violation de l’ordre constitutionnel ».
L’analyste politique indépendant Augusto Alvarez avait déclaré en premier à l’AFP que M. Castillo avait « violé l’article 117 de la Constitution péruvienne et [était] dans l’illégalité. C’est un auto-coup d’État ».
Lors d’une cérémonie d’investiture devant le parlement, où elle a été ceinte de l’écharpe présidentielle pour devenir la première femme présidente du Pérou, Dina Boluarte a elle aussi répété qu’il y avait « eu une tentative de coup d’État promue par Pedro Castillo qui n’a trouvé aucun écho dans les institutions de la démocratie ni dans les rues ».
« J’assume [le pouvoir] conformément à la Constitution du Pérou, à partir de ce moment » et jusqu’en « juillet 2026 », lorsque devait prendre fin le mandat de M. Castillo, a dit l’avocate de 60 ans issue du même parti d’inspiration marxiste [Perú libre] que lui.
« Normalité démocratique »
Des centaines de manifestants se sont rassemblés dans le calme devant le parlement.
« Nous sommes fatigués de ce gouvernement corrompu, de ce gouvernement qui [nous] vole depuis le premier jour », a déclaré à l’AFP Johana Salazar, une ouvrière de 51 ans.
D’autres ont pris la défense de M. Castillo et appelé « au respect du vote du peuple », comme Sissy, une employée municipale de 50 ans, estimant que « depuis que le président est arrivé, ils l’ont humilié, ils n’ont pas accepté un président issu des provinces », en référence à l’ex-instituteur en zone rurale qui a exercé 24 ans, novice en politique.
Les réactions internationales ont afflué, particulièrement d’Amérique.
Les États-Unis ont immédiatement fait savoir qu’ils ne considéraient plus Pedro Castillo comme le président du pays en exercice, saluant le rôle des parlementaires.
« Nous rejetterons catégoriquement tout acte qui contrevient […] à toute Constitution, tout acte qui sape la démocratie », a déclaré le porte-parole du département d’État, Ned Price.
Le président élu du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, a indiqué trouver « toujours regrettable qu’un président démocratiquement élu subisse un tel sort », mais il s’est félicité que « tout a été mené dans le cadre constitutionnel ».
Le gouvernement espagnol et le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, ont dénoncé une « rupture de l’ordre constitutionnel » dans les tentatives de M. Castillo mercredi, Madrid se félicitant « du rétablissement de la normalité démocratique ».
M. Castillo avait déjà échappé à deux motions de destitution pour « incapacité morale » — qui avaient auparavant fait chuter deux présidents en exercice, Pedro Pablo Kuczynski en 2018 et Martín Vizcarra en 2020—, dont la dernière en mars 2022.
Il lui était notamment reproché des crises ministérielles à répétition et la formation de quatre gouvernements en huit mois, fait inédit au Pérou.