Jair Bolsonaro dans la mire de la justice brésilienne

L’arrêt du tribunal est symbolique, mais il frappe fort. Lundi, la justice brésilienne a ordonné au président d’extrême droite Jair Bolsonaro de porter un « masque dans tous les lieux publics », sous peine d’une amende quotidienne de 2000 réaux (500 $ canadiens).
Depuis plusieurs semaines, la plupart des régions du Brésil ont rendu obligatoire le port du masque dans ce pays sur le point de voler aux États-Unis la première place au palmarès des États du monde où la COVID-19 fait le plus de victimes.
Une perspective dont le président se fout, lui qui participe, comme toujours depuis le début de la crise, à des rassemblements le visage découvert. D’ailleurs, vendredi il a porté la décision du juge en appel.
« La situation au Brésil face à la pandémie est assez préoccupante et nous avons peu de raison d’être optimistes ici , résume en entrevue au Devoir le médecin brésilien Daniel A. Dourado, chercheur en droit de la santé à l’Université de São Paulo. Le président a adopté une position erratique et contraire aux mesures de santé publique depuis le début de l’épidémie au Brésil. Son nouveau ministre de la Santé [nommé après la démission des deux précédents sur fond de tension avec le président] n’a même pas été officialisé dans sa fonction. Bolsonaro continue de gérer la crise en minimisant l’impact de la pandémie et en appelant au boycottage des mesures sanitaires adoptées par les administrations régionales et municipales. »
La justice s’active
Trois mois plus tard, la stratégie, toujours loin de faire l’unanimité, affaiblit désormais autant le pays que le pouvoir du populiste dont les appuis ne cessent de s’effriter autour de lui. Et ce, alors que le système judiciaire se rapproche désormais de l’impétueux président, et pas seulement pour lui imposer le port du masque.
« La justice s’est mise en marche au Brésil pour tenter de sauver la démocratie, estime à l’autre bout du Skype le sociologue brésilien Frederic Vandenberghe, professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, joint dans la mégalopole brésilienne cette semaine. La pandémie a révélé la véritable nature de Bolsonaro, son projet autoritaire, mais également le fait que son gouvernement est composé d’un noyau dur de délinquants extrémistes, habités par un imaginaire putschiste évident ».
Plusieurs de ces éléments voient d’ailleurs leurs gestes présents et passés scrutés de près par la justice. C’est le cas de l’ex-ministre de l’Éducation, Abraham Weintraub, qui a démissionné la semaine dernière pour officiellement briguer un poste au sein de la Banque mondiale.
L’homme, critiqué pour ses politiques radicales visant à réduire le financement des universités tout comme l’accès des minorités à l’éducation, est la cible d’enquête menée par le Tribunal suprême fédéral pour ses déclarations racistes faites à l’endroit des Chinois, mais également pour avoir diffusé de fausses informations en ligne.
Il s’est attiré les foudres des juges du plus haut tribunal du pays en avril dernier en les qualifiant de « connards » qu’il fallait « jeter en prison », selon lui.
Il vient à peine d’être remplacé, jeudi soir, par un économiste de 70 ans et professeur universitaire, Carlos Alberto Decotelli, troisième ministre de l’Éducation en 18 mois, dont l’entrée en fonction ne devrait finalement pas changer grand-chose, estime M. Vandenberghe.
« Les ministères ne fonctionnent plus, y compris les plus importants, comme l’Environnement, la Santé, l’Éducation ou l’Économie », laissant ainsi le champ libre à Bolsonaro pour poursuivre « sa logique de destruction du système en place », qu’il juge trop communiste, pour lui substituer sa version du pouvoir, plus personnelle et « plus autoritaire ».
« Le nouveau ministre de la Santé est un général d’armée, dont les positions sont alignées avec celle du président, dit Daniel A. Dourado. Depuis son arrivée comme intérimaire, il ne s’est pas une seule fois comporté comme un ministre, il n’a pas dirigé ou favorisé la coordination entre les États, une mesure pourtant essentielle dans un pays fédéral comme le Brésil, au temps de la pandémie. »
La semaine dernière, c’est un proche de Flavio Bolsonaro qui s’est fait cueillir par la justice dans le cadre d’une enquête sur le détournement de fonds par un système d’emploi fictif dont aurait profité le fils aîné du président. En fuite, Frabricio Queiroz, c’est son nom, est un ex-policier militaire. Il a été chauffeur et homme à tout faire de Flavio Bolsonora quand ce dernier était député de l’État de Rio de Janeiro.
« Avec Queiroz, on se rapproche des cercles mafieux qui entourent Jair Bolsonaro, dit Frederic Vandenberghe, mais également des milices armées qui font régner la terreur dans plusieurs quartiers des grandes villes et qui œuvrent dans la marge du système pour assurer la protection du président. »
Cette arrestation vient entretenir le climat de tension entre le président et l’appareil judiciaire qui multiplie depuis décembre dernier les procédures contre le président et ses fils élus, Flavio, mais également Eduardo et Carlos, accusés d’irrégularités durant la campagne électorale, de dissémination de fausses nouvelles ou de corruption. Carlos dirigerait un « cabinet de la haine », instance informelle chargée de polluer les univers numériques de fausses nouvelles pour diviser et indigner les Brésiliens au profit du président.
Chute libre
Ces affaires font tache sur Jair Bolsonaro, qui s’est présenté devant les électeurs en 2018 en grand pourfendeur de la corruption et en gardien d’un gouvernement propre et honnête.
« Bolsonaro a été élu avec 55 % des suffrages, mais ses appuis ont chuté depuis le début de son mandat, dit M. Vandenberghe. Et la crise pandémique des derniers mois, et la manière dont il l’a gérée pourraient bien réduire sa base à un faible 10 à 13 % d’extrémistes, prêts, coûte que coûte, à le soutenir ». Au Brésil, ce pourcentage est parfois décrit comme les « racines du mal ».
Selon lui, la société civile tend à se mobiliser également pour affirmer sa majorité désormais, face à un président que les décisions, les déclarations et les intentions seraient en train de conduire au seuil d’une procédure en destitution. « Cela n’est pas impossible, dit le sociologue. Bolsonaro, c’est un hyper-Trump. Mais cela risque de prendre encore un peu de temps. Pour le moment, le congrès n’a pas bougé sur cet impeachment, mais il attend de voir si les enquêtes du Tribunal suprême fédéral vont poser les conditions favorables à une telle procédure. »
Une menace prise au sérieux par le président qui, pour le moment, cherche à s’en sortir avec son arme habituelle : la propagande. Il vient de se nommer un ministre de la Communication, le charismatique Fabio Fara, qui vient d’admettre que le Brésil est bel et bien en guerre, lui qui propose désormais un « armistice patriotique » pour le pacifier. Rien de moins.