

Aux grands maux les petits moyens. Dans le langage des onusiens forts en sigles, il s’agit d’urgence de concevoir une AIC — une agriculture intelligente face au climat. Par exemple.
Comment prévoir la météo dans un monde qui se détraque climatiquement ? C’est ce qu’essaie de faire, au plus près des petits agriculteurs de la région de Chiquimula, le CGIAR, une organisation internationale qui se consacre — parmi bien d’autres — au développement agricole durable et à la sécurité alimentaire.
Concrètement, il s’agit devant les retombées avérées des changements climatiques de développer des stratégies de planification des récoltes, de préservation des sols et de diversification des cultures de manière à sortir du binôme alimentaire maïs-haricots.
Sécurité alimentaire ne sont pas ici de vains mots : le Programme alimentaire mondial prévoit à lui seul d’aider 700 000 personnes cette année dans le « couloir de la sécheresse ». Les migrants illégaux ont été en 2019 à peu près aussi nombreux à fuir vers le nord.
Le projet de prévision météo porte le nom ronflant de « comité technique agroclimatique » et a été mis sur pied en 2015 dans les montagnes parsemées de hameaux aux alentours du village d’Olopa par le CGIAR, un regroupement international de centres de recherche agricole.
Le nom est ronflant, mais recouvre en fait une démarche d’une désarmante simplicité : ont été créées dans la région cinq « stations météo » qui consistent en un pieu surmonté d’une petite boîte en bois à l’intérieur de laquelle est déposé un thermomètre. À proximité est installé un banal pluviomètre. Rien de sorcier.
Des agriculteurs font sur une base régulière une lecture des instruments et les données sont envoyées dans la capitale au ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles, qui les comparent aux observations colligées d’une saison à l’autre de manière à en tirer des tendances.
Ni panacée ni science exacte. « Plus compétents ils seront et mieux armés ils seront pour faire face à la crise », dit Claudia Lopez, chargée de projet, à propos des agriculteurs.
Ce n’est pas rien. D’abord parce que l’agriculture de subsistance, tributaire des aléas du climat, demeure la norme dans le monde rural centraméricain. Ce qui est vrai, en fait, de l’ensemble de l’Amérique latine, où plus de 90 % de l’agriculture est pluviale et où 80 % des exploitations agricoles sont de petites cultures familiales.
Ensuite parce que nous sommes en pays « chorti », une communauté autochtone maya, et, par définition, un monde que l’État guatémaltèque a toujours ignoré. L’analphabétisme est grand, le réseau scolaire est anémique. Or, à lui seul, le projet du CGIAR épaule ici 125 familles. Cent vingt-cinq fois 5 font 600 personnes — au bas mot, puisque la démographie demeure élevée en milieu rural.
S’agissant de concevoir une AIC — cette agriculture intelligente face au climat —, un système de collecte des eaux de pluie a été mis sur pied à partir de 2016 dans les environs sous la forme de réservoirs de dimensions variables faits d’épaisses bâches.
Mirian Rosaura Augustín, la responsable locale du projet météo, a l’un de ces réservoirs de 16 000 litres devant chez elle. Dont elle se sert aussi pour élever des… tilapias. Et avec lequel elle irrigue en contrebas un jardin qui produit ainsi des légumes (tomates, courges, yucca…) et des fines herbes. Elle est à peu près seule pour s’en occuper puisque son mari et son fils sont partis cueillir le café au Honduras à 5 $ par jour. Car, si tout le monde veut partir aux États-Unis, tout le monde ne le peut pas. D’où un important phénomène de migration régionale.
L’élevage des poissons constitue une petite révolution dans ces hautes terres. Pour autant, la révolution est incomplète dans la mesure où elle implique des changements de diète parmi des populations habituées à ne consommer que des tortillas et des haricots.
La prolifération de ces réservoirs ensemencés doit beaucoup à la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui soutient un projet de gestion de l’eau dans un bassin versant situé dans la municipalité montagneuse voisine de Camotán et qui rend service à 1200 familles (au moins 6000 personnes). À ce projet se greffent d’autres initiatives : plan de reforestation, création d’une coop de vente d’oeufs et de « banques » de microcrédit…
Pas de solution globale sans approche transversale, plaide Lizandro Morales, l’agronome de la FAO qui nous accompagne.
Pourquoi ne pas l’avoir développé plus tôt, ce système de collecte des eaux ? Parce qu’on n’agit jamais que lorsqu’on est au pied du mur, raisonne avec raison Lizandro.
Autant de microprojets qui, n’est-ce pas, mériteraient par ailleurs de faire l’objet de politiques nationales. « On essaie d’institutionnaliser le programme, dit-il, mais le gouvernement manifeste peu d’intérêt. »
Lu ce matin-là dans le quotidien La Prensa, en attendant Claudia, une entrevue avec le directeur d’OXFAM au Guatemala et dans laquelle il épingle l’État et le gouvernement en place pour l’insuffisance criante — par indifférence, par corruption, par dysfonctionnement, par incompétence… — des budgets attribués à la lutte contre la malnutrition infantile (taux de 50 % au Guatemala).
En leitmotiv, on nous refera sans arrêt cette constatation au sujet de la lutte contre la pauvreté au cours des deux semaines suivantes.
On vit sans la moindre aide gouvernementale, « à moins d’être chanceux », nous dira Mirian avec une pointe de sarcasme. À savoir : si aide il y a, elle est minuscule, elle est mal distribuée ou distribuée sans transparence, aux familles, aux copains, aux copains des copains de ceux qui tiennent les cordons de la bourse dans les réseaux et les bureaux du pouvoir.
Il y a tous ceux et toutes celles qui partent pour survivre. « Oui, beaucoup s’en vont », dit Enriquita en nous faisant visiter fièrement le beau jardin qu’une quinzaine de femmes entretiennent dans le quartier aux égouts à ciel ouvert de Pinalito. Et il y a tous ceux et toutes celles qui restent et se débattent.
Ces reportages ont été financés grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir. La suite lundi au Salvador et mardi, au Honduras.
Visite le long du «corredor seco» en Amérique centrale, du Guatemala au Honduras en passant par le Salvador.