Nayib Bukele, un président salvadorien «hors système»

Maire de San Salvador entre 2015 et 2018, Nayib Bukele a été élu dimanche dès le premier tour avec 54% des voix.
Photo: Marvin Recinos Agence France-Presse Maire de San Salvador entre 2015 et 2018, Nayib Bukele a été élu dimanche dès le premier tour avec 54% des voix.

Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile en 1992, le pays sort du bipartisme droite-gauche. Le jeune élu, un Palestinien d’origine, promet de lutter contre la corruption.

« Mange-bulletins » a encore fait des siennes. L’artiste conceptuel Victor Hugo « Crack » Rodriguez a mis en scène un happening, comme à chaque grande date de la vie politique du Salvador. Pour la présidentielle de 2014, il avait mâché et avalé des bulletins de vote. Après avoir fait du hula-hoop en 2018 avec les couronnes de fleurs déposées sur le monument aux victimes de la guerre civile, cette célébrité locale est arrivée, dimanche, à son bureau de vote enfermée dans un cercueil. D’où il a émergé, menotté et en tenue de prisonnier, pour déposer son bulletin dans l’urne.

Les électeurs n’ont pas manqué d’audace non plus à l’heure de choisir le successeur de Salvador Sánchez Cerén, le président de gauche.

C’est en effet dès le premier tour, avec 54 % des voix, qu’a été élu Nayib Bukele, un publicitaire de 37 ans, hors du système des partis, mais pas novice en politique, puisqu’il a été maire de la capitale, San Salvador, entre 2015 et 2018. Pour la première fois depuis les accords de paix qui avaient mis fin en 1992 à une sanglante guerre civile (75 000 morts en douze ans), le président n’est pas issu du partage du pouvoir entre l’Arena, parti de l’ancienne extrême droite armée, et le Front Farabundo Marti (FMLN), l’ex-guérilla marxiste.

En proclamant sa victoire dimanche soir, Bukele a annoncé : « La page de l’après-guerre est tournée, nous allons désormais regarder vers l’avenir. »

Fils d’un commerçant originaire de Palestine, figure respectée de la puissante communauté arabe du pays, Nayib Bukele a mené campagne en citant en modèle Andrés Manuel Lopez Obrador, le président mexicain, et en jurant de combattre la corruption. Un exercice acrobatique puisqu’il s’est présenté sous l’étiquette de Gana (Grande alliance pour l’unité nationale), un parti de droite dont le fondateur, l’ancien président Antonio Saca, a voté dimanche derrière les barreaux : il purge une peine de dix ans de réclusion pour avoir détourné 300 millions de dollars de fonds publics.

Les électeurs n’ont pas fait le lien et ont donné crédit au jeune dirigeant de la sincérité de son engagement contre une kleptocratie qui a touché tout le monde politique : les trois présidents de la période 1999-2014 ont été poursuivis pour détournements.

L’équipe de Bukele compte autant de transfuges de la droite que de la gauche. Lui-même a longtemps milité au FMLN, qui l’a investi en 2015 pour la mairie de San Salvador. Deux ans plus tard, il est exclu de la formation de l’ancienne guérilla pour violence machiste : il a agressé une conseillère municipale de sa propre majorité par l’insulte (« traîtresse, sorcière ») et en lui lançant une pomme au visage.

De l’avis général, le FMLN a profité de l’incident pour se défaire d’un trublion dont les critiques incessantes de l’action du président Sanchez Cerén lui valaient de solides inimitiés.

Caravanes de migrants

 

S’il a les dents longues, Nayib Bukele peut aussi se prévaloir d’un bilan positif. Sous sa gestion, les travaux d’urbanisme ont modifié le visage d’une capitale qui gardait encore des séquelles des tremblements de terre de 1986 (1500 morts) et de 2001 (près de 1000 morts). Et son effort de sécurisation a transformé le centre historique en quartier tendance, où on peut désormais flâner sans risque d’être agressé.

Les difficultés ne manqueront pas sur le chemin de Nayib Bukele, dans ce petit pays moins grand que la Bretagne, mais densément peuplé (6,3 millions d’habitants) auxquels s’ajoutent 2,5 millions d’expatriés, en grande majorité aux États-Unis. Il devra d’abord composer avec une assemblée encore marquée par le bipartisme traditionnel, où le Gana a peu de sièges.

Le combat contre la violence endémique est un autre défi. Le Salvador est confronté à la puissance des maras, les gangs qui contrôlent les trafics de drogue. La justice et le système pénitentiaire sont débordés. D’après la Croix-Rouge (chiffres de 2007), le pays est septième dans le classement mondial pour la part de population emprisonnée : 492 pour 100 000. Le taux d’occupation carcérale atteint 330 %.

La violence au quotidien et le manque de perspectives économiques poussent à l’émigration. Les Salvadoriens constituent la deuxième nationalité présente dans les caravanes de migrants d’Amérique centrale qui tentent de gagner les États-Unis.

Mais le pays est sous la menace de rapatriements en nombre. Début 2018, le gouvernement Trump a mis fin au Statut de protection temporaire qui accordait un permis de résidence aux migrants de pays victimes de catastrophes naturelles ou d’instabilité politique. Et donnait entre douze et dix-huit mois aux 400 000 bénéficiaires, pour moitié salvadoriens, pour rentrer chez eux.

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