Venezuela: le jeu de coulisses de Washington

Le vice-président américain, Mike Pence
Photo: Saul Loeb Agence France-Presse Le vice-président américain, Mike Pence

« À suivre : importantes réactions d’un moment à l’autre. » Juan Guaidó vient tout juste de s’autoproclamer président du Venezuela le 23 janvier et, déjà, le sénateur américain Marco Rubio laisse miroiter sur Twitter le feu vert des États-Unis.

Le communiqué de Donald Trump tombe rapidement : « Je reconnais officiellement le président de l’Assemblée nationale vénézuélienne, Juan Guaidó, comme président par intérim du Venezuela. » En tout, vingt minutes à peine se sont écoulées entre l’annonce de Caracas et la réponse de Washington.

Les États-Unis étaient donc prêts. Tout comme le Canada, le Brésil et les autres pays d’Amérique latine qui leur emboîtent le pas, renforçant l’impression d’une étroite coordination pour chasser le socialiste Nicolás Maduro du pouvoir.

De quoi alimenter les accusations qui fusent dans le camp Maduro contre un « coup d’État » fomenté par les Américains, dans un continent qui en a connu d’autres. Conscient de ce risque, Washington met en avant la « coalition » internationale bâtie pour soutenir l’opposition vénézuélienne, assurant n’avoir fait qu’accompagner cette dernière.

C’est « l’unité de l’opposition vénézuélienne » qui a fait pencher la balance, martèle le nouvel émissaire américain pour le Venezuela, Elliott Abrams.

Tout le monde s’accorde sur ce point : l’émergence du jeune Juan Guaidó, jusque-là inconnu, a relancé une dynamique protestataire qui s’était essoufflée en 2018. « À un moment, on a risqué » d’avoir « une communauté internationale mobilisée, mais personne dans la rue pour manifester », se souvient Fernando Cutz, encore récemment chargé de l’Amérique latine à la Maison-Blanche.

De la parole aux actes

 

Pour un diplomate canadien, « le déclic a clairement été le 10 janvier », date de l’investiture de Nicolás Maduro pour un second mandat présidentiel. « Nous avions tous dit en mai que nous ne reconnaissions pas son élection, il fallait donc passer des paroles aux actes », raconte-t-il à l’AFP sous couvert de l’anonymat.

« Sous Guaidó, l’opposition a fourni la thèse juridique permettant aux gouvernements étrangers de reconnaître un dirigeant alternatif à la fin du premier mandat de Maduro », renchérit l’expert Harold Trinkunas, de l’Université de Stanford. « C’est une solution constitutionnelle », approuve-t-on au département d’État américain.

Dans les coulisses, les responsables américains s’activaient en fait depuis plusieurs mois.

Généralement peu intéressé par l’Amérique latine, et volontiers enclin à désengager les États-Unis de la scène multilatérale, le président Trump identifie très tôt Nicolás Maduro comme un de ses principaux ennemis : dès septembre 2017, il assure que toutes les options, y compris militaire, sont sur la table pour « rétablir la démocratie » au Venezuela.

Mais il laisse son vice-président, Mike Pence, monter en première ligne, épaulé par le sénateur de Floride Marco Rubio. Les deux hommes se retrouveront ainsi dans le Bureau ovale à la veille de l’autoproclamation de Juan Guaidó.

Leur action se déploie sur deux fronts.

 

D’abord, coordonner la pression américaine avec les actes de l’opposition.

Mi-décembre 2018, Juan Guaidó vient discrètement dans la capitale américaine pour rencontrer des acteurs clés, affirme à l’AFP Geoff Ramsey, du centre de recherche Washington Office on Latin America.

Une visite que le gouvernement américain, encore aujourd’hui, refuse de confirmer. « Le département d’État rencontre et communique avec des interlocuteurs étrangers très divers, c’est le rôle des diplomates », se borne à dire un porte-parole.

« Ce qui se passe actuellement est le résultat d’un intense effort diplomatique » en cours « depuis plusieurs mois », « pour lequel il a souvent été préférable de ne rien révéler », explique, sous couvert de l’anonymat, un opposant vénézuélien aux États-Unis.

Communications cryptées

 

Carlos Vecchio, aujourd’hui nommé « ambassadeur » aux États-Unis par Juan Guaidó, a été un des interlocuteurs privilégiés des Américains. Plus difficile en revanche de parler avec les opposants restés au Venezuela.

« Il faut utiliser Signal ou WhatsApp », des applications de communication cryptées, « mais il y a toujours un risque d’être surveillé », « leur maison peut être sur écoute », rapporte Fernando Cutz.

Parallèlement, le gouvernement Trump s’est démené pour ne pas apparaître seul aux manettes.

Pour Harold Trinkunas, il a « joué un rôle important dans la coordination de la reconnaissance internationale de Guaidó ». Mais cet effort remonte plus loin dans le temps, avec, pour reprendre la formule de Fernando Cutz, une « chorégraphie et une rhétorique minutieuses de la part des États-Unis pour ne pas devancer les événements ».

« Cela a permis d’aboutir à une solution vraiment régionale », plaide cet ex-conseiller de la Maison-Blanche, mettant en avant la formation du Groupe de Lima, quatorze pays américains, dont le Brésil, le Canada et le Mexique, souvent sur la même longueur d’onde que Washington sur la crise vénézuélienne.

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