Nouveau report de l'Assemblée constituante au Venezuela

La légitimité de la toute puissante Assemblée constituante vénézuélienne, dont l’installation a une nouvelle fois été reportée, a été mise en cause par l’entreprise chargée des opérations de vote, qui dénonce une « manipulation ».
Ce scrutin, qui s’est déroulé dimanche dans un contexte de grande violence, faisant dix morts, ne cesse de susciter un tollé à l’échelle internationale. Plus de 120 personnes au total ont été tuées en quatre mois de manifestations contre le président socialiste Nicolás Maduro.
« Nous savons, sans le moindre doute, que [les chiffres de] la participation à l’élection d’une Assemblée constituante nationale ont été manipulés », a déclaré Antonio Mugicala, le p.-d.g. de l’entreprise britannique SmartMatic, responsable des opérations de vote au Venezuela « depuis 2004 ».
« La différence entre la participation réelle et celle annoncée par les autorités est d’au moins un million de votes », a-t-il estimé.

« C’est un séisme », a réagi Julio Borges, le président du Parlement élu fin 2015, où l’opposition est majoritaire.
« C’est une affirmation irresponsable basée sur des estimations sans fondement concernant la data [données] dont dispose exclusivement » le Conseil national électoral (CNE), s’est défendue sa présidente, Tibisay Lucena.
L’opposition a boycotté le scrutin en dénonçant une « fraude » visant à prolonger le pouvoir de M. Maduro, dont le mandat s’achève en 2019.
Selon les autorités, plus de huit millions d’électeurs, soit 41,5 % du corps électoral, ont participé à l’élection des membres de la Constituante. Soit un chiffre supérieur aux 7,6 millions de voix réunies par l’opposition le 16 juillet, lors d’un référendum contre le projet de Constituante. Chaque camp conteste les chiffres de l’autre.
Le Venezuela est au bord de l’effondrement économique et 80 % des Vénézuéliens désapprouvent la gestion du président, selon l’institut de sondages Datanalisis.
Mercredi soir, le président Maduro a annoncé un nouveau report de la séance inaugurale de l’Assemblée constituante, attendue mercredi puis jeudi.
Elle sera « organisée dans la paix, dans la tranquillité et avec tout le protocole nécessaire vendredi prochain à 11 heures du matin », a déclaré M. Maduro lors d’une réunion avec des membres de cette assemblée élue dimanche.
L’opposition entend continuer à siéger malgré tout au Parlement. Elle se préparait, par ailleurs, à manifester jeudi contre l’installation de l’Assemblée constituante composée de 545 membres.

Tensions
Les leaders antichavistes (du nom de Hugo Chávez, président de 1999 à son décès en 2013) dénoncent le caractère « illégitime » à leurs yeux de ce « super pouvoir » qui pilotera le Venezuela pour une durée indéterminée.
L’UE a annoncé mercredi qu’elle refusait de reconnaître l’Assemblée constituante. « L’élection de l’Assemblée constituante a durablement aggravé la crise au Venezuela », a déclaré Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne.
La Constituante doit lancer ses travaux dans un contexte de tensions avec les États-Unis, renforcé par les nombreuses condamnations internationales après l’arrestation dans la nuit de lundi à mardi de deux des figures de l’opposition, Leopoldo Lopez, 46 ans, et le maire de Caracas, Antonio Ledezma, 62 ans.
Le président américain, Donald Trump, a tenu « personnellement responsable » son homologue vénézuélien du traitement des deux opposants, condamnant « les actions de la dictature Maduro ».
« Je l’avais dit : qu’il pleuve ou qu’il vente, le projet d’Assemblée constituante continue. Dans les prochaines heures, elle commencera à exercer son pouvoir absolu », a déclaré M. Maduro, qui s’est vu imposer des sanctions financières par Washington. Il s’agit notamment du « gel » de « tous les avoirs » que posséderait le dirigeant vénézuélien aux États-Unis.
La Constituante se situe au-dessus de tous les pouvoirs, y compris du chef de l’État, et doit rédiger une nouvelle Constitution. Elle doit apporter la « paix » et permettre au pays de se redresser économiquement, selon le chef de l’État.

Au bord de l’abîme
De son côté, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé les autorités « à faire tous les efforts possibles pour réduire les tensions » dans ce pays pétrolier au bord de l’abîme.
Par ailleurs, la compagnie aérienne argentine Aerolineas Argentinas a annoncé l’annulation de son vol hebdomadaire vers et depuis Caracas du 5 août pour des raisons « opérationnelles et de sécurité ».
Air Canada et Aromexico dès 2014, Alitalia en 2015, GOL, Latam et Lufthansa en 2016, suivies de United Airlines, Avianca et Air France en 2017 : plusieurs compagnies ont mis fin à leurs opérations ou les ont réduites dans ce pays sud-américain secoué par une profonde crise politico-économique, toujours plus isolé.
Dimanche, opposants et forces de l’ordre s’étaient affrontés à Caracas et dans d’autres villes lors de batailles rangées. Selon l’ONG Foro Penal, le Venezuela compte quelque 490 « prisonniers politiques ».
La crise au Venezuela attribuable à ses oligarques, avance l'ancien maire de Londres
Londres — L’ancien maire de Londres Ken Livingstone, fervent soutien du régime de Caracas, a laissé entendre jeudi que la crise au Venezuela était en partie attribuable au fait que l’ex-président Hugo Chávez n’avait pas tué tous les oligarques de son pays.
« Une des choses que [Hugo] Chávez a faites quand il est arrivé au pouvoir, c’est qu’il n’a pas tué tous les oligarques », a déclaré M. Livingstone, suspendu du parti travailliste britannique, à la radio britannique talkRADIO. « Il y avait environ 200 familles qui contrôlaient quelque 80 % des richesses au Venezuela. Il leur a permis de vivre, de continuer », a-t-il poursuivi. Tout en assurant n’être « pas favorable à l’assassinat de quiconque », l’ex-maire a insisté : si ces oligarques avaient été éliminés, « ils ne seraient pas en mesure de saper le gouvernement en place ».
Agence France-PresseInauguration de l'Assemblée constituante jeudi
La séance inaugurale de la très contestée Assemblée constituante au Venezuela aura lieu jeudi au siège du Parlement, a annoncé mercredi une de ses membres élue, Delcy Rodriguez, ancienne cheffe de la diplomatie vénézuélienne.« Nous arriverons demain avec les portraits du Libérateur Simon Bolivar et du commandant [Hugo] Chavez au palais législatif, d’où ils ne sortiront plus jamais », a-t-elle déclaré lors d’une réunion publique, laissant présager une situation particulièrement tendue.
L’opposition, majoritaire au Parlement élu en 2015, compte continuer à siéger malgré tout.