La lente agonie du sud d’Haïti

« On n’avait jusqu’à maintenant aucune idée de ce qu’il se passait sur le terrain. Là, j’ai vu à quel point les dégâts sont importants. La ville de Jérémie est en ruine. Elle est en lambeaux. » Du haut des airs, à bord d’un hélicoptère, Robenson Geffrard a survolé les terres de cette commune du sud d’Haïti, complètement ravagée par l’ouragan Matthew. Une fois les pieds sur terre, il a rencontré la misère.
Le bilan des pertes humaines s’annonce dramatique. Il s’élève à 842 morts, selon la chaîne d’information BFMTV. Mais la confusion règne autour du nombre, alors que la protection civile du Sud faisait état de 315 morts, sans compter les évaluations de plusieurs communes durement touchées par la tempête. Avec le ministère de l’Intérieur, il était question de 271 morts, vendredi soir.
Plusieurs jours après le passage de l’ouragan, des dizaines de communes restent toujours coupées du reste du pays. Les communications téléphoniques demeurent extrêmement difficiles, et les routes sont devenues impraticables par endroits, inondées ou bloquées par des arbres déracinés par les vents violents qui pouvaient atteindre jusqu’à 230 km/h.
« Lorsque le toit de ma maison s’est envolé, je me suis agrippée à un mur avec la main gauche et, avec la main droite, je tenais fermement mon enfant de trois ans qui pleurait de toutes ses forces », racontait avec frayeur Carmine Luc à Robenson Geffrard, journaliste au quotidien francophone Le Nouvelliste d’Haïti. Il a réussi à rencontrer cette jeune femme de 22 ans, deux jours après l’expérience traumatisante qu’elle a vécue dans sa localité appelée Numéro 2, située à environ 15 minutes à moto de la ville de Jérémie.
Si le bilan des morts ne cesse de s’alourdir, celui des sinistrés grièvement blessés risque d’être tout aussi catastrophique. Les toits en tôle qui se sont envolés et les arbres tombés sur des habitations auraient laissé des séquelles physiques à plusieurs habitants de Jérémie, relate M. Geffrard.
Pour se rendre sur les lieux, le journaliste a eu recours à un hélicoptère, car il était tout simplement inconcevable de prendre la route. « J’étais le premier et le seul étranger à me rendre sur place », a-t-il remarqué. À son retour à Port-au-Prince, M. Geffrard était atterré. Il a rédigé son article la mine basse, tout en choisissant soigneusement le mot « désolation » pour décrire le malheur qui s’est emparé de la ville de Jérémie et qui a aussi pris d’assaut tout le département du sud d’Haïti.
Pénuries et pertes financières à prévoir
Au plus fort de la tempête, durant la nuit de lundi à mardi, Antonye Guillaume réussissait à parler toutes les 15 minutes avec son cousin habitant dans la commune d’Aquin. « Mais depuis, je n’ai parlé avec personne d’autre de ma famille. Pas même à ma mère. La communication est tombée complètement », se désole le chauffeur, qui travaille pour une ONG canadienne, à Port-au-Prince.
Ce dernier se dirigera dans la région où il a grandi, samedi matin, pour prendre des nouvelles de sa mère âgée de 62 ans, qui réside à Miragoâne, une ville portuaire située dans le département de Nippes. Même si on lui a confirmé qu’elle se trouvait en sécurité, son état de santé fragile l’inquiète. M. Guillaume promet de veiller à ce qu’elle ne manque de rien pour tenir le coup durant les prochains jours, qui s’annoncent difficiles et remplis d’incertitude. Surtout pour l’approvisionnement en eau et en nourriture, compte tenu de l’état lamentable de plusieurs routes.
Toutes les organisations locales et internationales sont à pied d’oeuvre pour réaliser leur évaluation des dégâts par régions afin d’envoyer des kits d’urgence et des vivres en grande quantité aux populations vulnérables. « Il n’y aura pas nécessairement à manger pour tout le monde [au cours des prochains jours]. Et on doit constamment s’assurer qu’il y ait suffisamment d’eau potable pour éviter les risques de contamination », indique Brigitte Gaillis, porte-parole de la Croix-Rouge canadienne en Haïti.
Plusieurs Haïtiens risquent aussi d’éprouver de sérieux ennuis financiers à court terme. C’est l’une des craintes de M. Guillaume, car sur les 30 chèvres que possédait sa famille, plus de la moitié a péri. Considérant qu’une chèvre peut valoir jusqu’à 1500 HTG (30 $CAN), il estime que les pertes financières pourraient s’élever à plus de 22 500 HTG (450 $CAN). « C’est beaucoup d’argent perdu d’un seul coup », lâche-t-il, consterné.
Par ailleurs, « les cultures maraîchères sont très endommagées et elles constituent aussi une perte des activités génératrices de revenus. Dans le département des Nippes, notamment, il y avait beaucoup de jardins. Alors, c’est de l’argent de moins pour les résidants de ce secteur », conclut Mme Gaillis.
Les Haïtiens de Montréal lancent un appel à l’aide
Le Canada a répondu aux appels à l’aide des Haïtiens, vendredi, quand ses divers paliers de gouvernement ont annoncé le déblocage de montants d’argent devant permettre de répondre aux besoins urgents des sinistrés.Le gouvernement fédéral a libéré 300 000 $, un montant qui s’ajoute aux 3 millions de dollars en aide d’urgence qui avaient déjà été mis de côté. À Québec, le gouvernement libéral a annoncé une aide de 500 000 $, tandis qu’à Montréal, le maire Coderre a consacré 60 000 $ au soutien des sinistrés.
« C’est dans l’adversité que l’on reconnaît les vrais amis. Merci », a réagi le consul général d’Haïti à Montréal, Justin Viard. Les élus, qui ont laissé entendre que les montants pourraient être bonifiés dans les semaines à venir, ont par ailleurs encouragé les Canadiens à faire parvenir des dons à la Croix-Rouge. Marie-Michèle Sioui