Haïti: décentraliser pour mieux reconstruire

Hier matin, Oxfam dévoilait son dernier rapport «Planter maintenant», destiné à soutenir le Plan national d'investissement agricole du gouvernement haïtien
«Boire, manger, s'abriter, assurer le lendemain. C'est ça, reconstruire l'agriculture.» C'est ainsi que Michel Verret, directeur des relations publiques d'Oxfam Québec, a introduit les objectifs du Plan national d'investissement agricole du gouvernement haïtien, publié en mai dernier.Dans son rapport, Oxfam commente le plan, et exhorte la communauté internationale à en compléter le financement. Des 772 millions de dollars américains nécessaires à sa mise en place, 82 millions manquent encore.
L'organisation internationale reconnaît que le document, «détaillé et raisonnable», répond à un besoin indispensable, mais présente plusieurs limites, notamment la faible place réservée au rôle des femmes, et le peu d'importance accordée à la décentralisation.
Le monstre Port-au-Prince
Pour Philippe Mathieu, directeur d'Oxfam Québec en Haïti, la décentralisation des institutions administratives ou techniques est un préalable indispensable à toute relance efficace. «Après le séisme, 600 000 habitants de Port-au-Prince se sont réfugiés à la campagne, mais on estime que 40 % sont déjà revenus en ville en raison du manque d'infrastructures en région.» M. Mathieu a rappelé que plus de la moitié de la population de l'île habite en zone rurale, et que de ce total, les deux tiers vivent avec moins d'un dollar par jour.
Celui qui fut ministre de l'Agriculture de 2004 à 2006 a également souligné que la capitale avait connu un développement disproportionné qu'il devenait indispensable de réguler. «Même avant la catastrophe, Port-au-Prince attirait déjà 75 000 migrants par an. Au fil du temps, nous avons bâti un monstre de trois millions d'habitants dans une cité construite pour en accueillir 250 000.»
De plus, Oxfam estime que le plan ne tient pas suffisamment compte du rôle des femmes dans l'agriculture locale. Ces dernières sont responsables de la commercialisation des produits locaux, de l'achat des intrants, et doivent également veiller à l'équilibre alimentaire des ménages.
Enfin, le rapport met en lumière les paradoxes de l'aide internationale qui, en privilégiant les secours alimentaires de l'étranger, nuit aux producteurs locaux. Ainsi, au moment du tremblement de terre, les prix des denrées agricoles de l'île ont fortement chuté en raison de l'arrivée massive d'aide extérieure.
«L'agriculture, qui représente 28 % du PIB, ne reçoit que 2,5 % de l'aide internationale», a rappelé M. Mathieu. Depuis 1995, l'aide alimentaire est passée de 20 à 90 millions, alors que le soutien à l'agriculture a chuté de 20 à 15 millions. Aujourd'hui, Haïti importe 60 % de son alimentation.
De la cohérence
Pour l'organisme de coopération, il apparaît indispensable d'assurer une meilleure cohérence entre politique d'aide et politiques commerciales. Ainsi, les États-Unis, qui soutiennent l'agriculture haïtienne à hauteur de 22 millions par an, ne peuvent, en vertu du «Bumper Amendment», soutenir les producteurs de riz haïtiens, considérés comme «faisant concurrence» aux productions des États-Unis.
En subventionnant les exportations, le gouvernement américain a fait d'Haïti son troisième plus grand marché à international pour le riz, après le Japon et le Mexique.