Haïti: pleins feux sur Montréal

Les «pays amis» d'Haïti se réunissent aujourd'hui à Montréal pour se concerter sur leur aide immédiate au pays dévasté par le violent séisme du 12 janvier, qui a fait 150 000 morts et un million de sans-abri, mais aussi pour jeter les bases d'un vaste programme de reconstruction qui devrait donner naissance à un «nouvel Haïti».
«Je suis venu exposer la situation dans Haïti et discuter avec des partenaires, des gens qui, jusqu'à présent, ont montré qu'ils avaient une volonté d'aider Haïti sur l'humanitaire, sur le court terme. Nous sommes venus parler du moyen et du long terme», a déclaré le premier ministre d'Haïti, Jean-Max Bellerive, hier soir, à quelques heures du coup d'envoi de la conférence éclair d'aujourd'hui. Le gouvernement du Canada souhaite que la rencontre d'urgence soit notamment l'occasion de fixer le lieu et la date d'une conférence internationale des donateurs prévue dans les prochains mois. «Il s'agira d'une première étape critique sur la longue route du redressement, [mais] ce ne sera pas un endroit où annoncer des contributions», a affirmé le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, hier. «Nous devons déterminer en collaboration avec le gouvernement haïtien des priorités-clés pour établir un plan d'action pour le travail à accomplir.»Les participants — au nombre desquels figurent l'Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, les États-Unis, la France, le Mexique, ainsi que les Nations unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l'Organisation des États américains et la Croix-Rouge internationale — vont tout d'abord «comparer leurs notes» afin de dresser un bilan de la situation, pour ensuite se focaliser sur la reconstruction du pays.
Lawrence Cannon, qui présidera la rencontre, et Jean-Max Bellerive entreprendront les travaux qui se poursuivront à huis clos avec, entre autres acteurs politiques, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, et le ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner. Le premier ministre canadien, Stephen Harper, devrait se joindre à eux pour une partie des travaux.
«L'ampleur du désastre, le nombre de personnes touchées, les biens matériels font que, pendant longtemps, Haïti va avoir besoin d'aide», a indiqué Jean-Max Bellerive, hier, flanqué du premier ministre du Québec, Jean Charest. «On ne va pas reconstruire Haïti à l'identique. Il faut traiter les problèmes structurels. Ce ne sera pas un exercice seulement financier, on parlera de gouvernance et de coopération régionale», a fait savoir une source diplomatique française à l'Agence France-Presse.
L'organisation humanitaire Oxfam a appelé les participants à la réunion d'urgence d'aujourd'hui à s'entendre sur un effacement de la dette contractée par Haïti auprès d'eux. L'annulation de la dette haïtienne, qui s'élève à près de 950 millions de dollars canadiens, est l'une des priorités pour la reconstruction du pays, selon l'organisation non gouvernementale. «Attendre d'Haïti qu'il rembourse des millions de dollars, alors que le pays lutte pour surmonter l'une des pires catastrophes naturelles de ces dernières années serait à la fois cruel et inutile», a déclaré le directeur général d'Oxfam International, Jeremy Hobb.
D'autre part, les «pays amis» d'Haïti doivent définir «clairement le rôle des troupes internationales et expressément préciser que les troupes opèrent sous le commandement des Nations unies et du gouvernement haïtien», a tenu à dire M. Hobb.
Même son de cloche du chef de l'opposition officielle du Canada, Michael Ignatieff. M. Ignatieff, qui a effectué une visite auprès de la communauté haïtienne de Montréal hier, a plaidé en faveur d'une «reconstruction démocratique» d'Haïti. «Les Haïtiens, ici à Montréal, ont peur qu'Haïti passe sous la tutelle internationale, d'une façon qui ne va pas répondre à leurs besoins», a-t-il fait remarquer, alors que les Haïtiens saisissent la portée politique la mesure de la catastrophe.
La quasi-totalité des ministères en ruine
L'ambassadeur américain en Haïti, Kenneth Merten, estime à 11 sur 13 le nombre de ministères haïtiens détruits par le tremblement de terre. «L'État est paralysé, car il n'y a aucun bâtiment actuellement debout pour continuer, mais les représentants de l'État sont là en grande partie», a affirmé la première dame d'Haïti, Élisabeth Préval. Celle-ci a pris hier la défense de son mari, le président René Préval, car une partie de la population juge sa gestion du pays après le séisme laxiste. «L'État haïtien et mon mari travaillent jour et nuit pour essayer de diriger la communauté des donateurs sur les points les plus sensibles. On ne le voit pas beaucoup à l'extérieur, mais il est constamment en entretien, en réunion avec l'état-major de la MINUSTAH», a-t-elle ajouté.
Accompagné du premier ministre du Québec, Jean Charest, le chef du gouvernement haïtien a pour sa part visité hier soir le centre d'opérations de la sécurité civile à l'hôtel Wyndham, en bordure de l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, où près de 2500 ressortissants canadiens — pour la plupart d'origine haïtienne — ont été accueillis, depuis le 13 janvier, à leur retour de Port-au-Prince. M. Bellerive, qui s'est dit «extrêmement ému de voir tout ce qui se fait ici», a ensuite rejoint le maire de Montréal, Gérald Tremblay, et tous deux se sont rendus au centre communautaire La Perle retrouvée, dans le quartier Saint-Michel, où ils étaient attendus par 300 membres de la communauté haïtienne.
La conférence de Montréal intervient au lendemain de l'appel du chef de la MINUSTAH, Edmond Mulet, en faveur d'un accroissement des effectifs des Nations unies sur l'île d'Hispaniola. «J'ai besoin de personnel. J'ai besoin de soldats [...]. Et nous avons aussi besoin de voitures, de camions et d'essence pour aider la population», a dit M. Mulet, qui est devenu chef par intérim de la MINUSTAH après la mort du responsable de la mission, Hedi Annabi, dans le séisme. Le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé cette semaine l'envoi de 3500 Casques bleus supplémentaires sur place, portant à 12 500 l'effectif des troupes de la MINUSTAH en Haïti. Leur mission consiste à protéger les couloirs humanitaires et les convois d'aide, mais aussi à aider les Haïtiens à enterrer leurs morts, a indiqué M. Mulet. Les Casques bleus «ont creusé cinq fosses communes» et, en partenariat avec la Croix-Rouge, ils «prennent des photos des victimes, essayent de les identifier et de tenir les registres à jour», a dit Edmond Mulet.
Dans un bilan rendu public hier, le nombre de Canadiens tués en Haïti s'élevait à 19 alors que 213 personnes manquaient toujours à l'appel. Plus de 2300 ressortissants canadiens ont été rapatriés au pays. Soixante étaient en attente de l'être. Par ailleurs, un premier avion transportant 24 enfants haïtiens adoptés par des parents canadiens avant le séisme s'est posé hier à l'aéroport d'Ottawa.
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Avec La Presse canadienne, l'Agence France-Presse et Reuters