Les Américains renforcent leur emprise

Washington a annoncé hier l'envoi de 4000 soldats supplémentaires en Haïti, ce qui portera à 15 000 leurs effectifs militaires dans la république antillaise frappée par un séisme le 12 janvier, alors que l'emprise américaine sur les opérations de secours fait l'objet de nombreuses critiques depuis quelques jours.
Les militaires Américains ont notamment pris possession de l'aéroport de Port-au-Prince le surlendemain du séisme, et cette mainmise a suscité la grogne de plusieurs intervenants, qui accusent le Pentagone de contrôler ou de militariser l'aide.Le week-end dernier, le ministre français de la Coopération, Alain Joyandet, avait parlé d'élever une protestation parce qu'un vol humanitaire français n'avait pas reçu l'autorisation d'atterrir à Port-au-Prince, mais l'Élysée s'est ensuite employé à dissiper toute idée de brouille entre Paris et Washington.
Médecins sans frontières, de son côté, a rapporté cette semaine qu'un avion transportant des fournitures médicales qui lui étaient destinées avait été empêché d'atterrir dans la capitale haïtienne à trois reprises depuis dimanche. Selon l'organisation humanitaire, cinq vols ont ainsi été détournés vers la République dominicaine voisine depuis une semaine. «C'est une pure question de physique et de géométrie: tout le monde ne peut pas être là-bas», a assuré hier un haut responsable militaire américain sous le couvert de l'anonymat. Le militaire a précisé que les décisions sur les atterrissages étaient prises par le gouvernement haïtien et les Nations unies, les États-Unis n'ayant que la responsabilité de les appliquer.
De son côté, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, s'est dite «évidemment mécontente de savoir que le matériel et les équipes de secours ne sont pas encore parvenus à tous ceux qui en ont besoin», ajoutant: «Cela dit, je suis tout à fait consciente des obstacles posés par cette terrible catastrophe naturelle.»
Dans une entrevue à une radio française, le président haïtien, René Préval, a écarté hier toute critique envers les États-Unis, dont les parachutistes avaient pris position la veille devant le palais présidentiel en ruines. Cette présence symbolique a été diversement perçue par les citoyens d'un pays ayant subi l'occupation américaine de 1915 à 1934. «Nous avons une collaboration avec plusieurs partenaires. [...] Les Américains ont, sous l'égide de la [Mission de stabilisation des Nations unies] MINUSTAH, tout en ne faisant pas partie de la MINUSTAH, offert leur aide pour la reconstruction. C'est toujours la MINUSTAH, avec la police, aidée par les Américains», qui est responsable de la sécurité à Haïti, a déclaré M. Préval.
Deux agences onusiennes, soit le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), se sont également dissociées hier des critiques adressées aux États-Unis. «Genève est au coeur de la réponse opérationnelle», a assuré Elisabeth Byrs, porte-parole de l'OCHA.
Les États-Unis vont donc déployer 4000 soldats supplémentaires en Haïti, soldats qui devaient initialement être envoyés en Europe et au Moyen-Orient. Ils pourraient arriver sur l'île d'Hispaniola d'ici à demain, à bord de trois bateaux et d'hélicoptères, faisant passer à 20 le nombre de navires américains dans la zone.
D'autre part, le port de Port-au-Prince, endommagé par le séisme du 12 janvier, va rouvrir au trafic à partir de demain, a assuré le général américain Ken Keen, qui supervise l'ensemble des opérations militaires américaines en cours à Haïti pour venir en aide aux sinistrés, après le séisme dévastateur qui aurait fait près de 200 000 morts. Un bâtiment français était pourtant déjà amarré à quai hier et déchargeait du matériel d'aide humanitaire.
Quant à elle, l'armée canadienne s'affairait hier à remettre en état l'aéroport de Jacmel, ce qui permettra de désengorger celui de Port-au-Prince, distant d'environ 50 km.
Une réplique majeure a fait craindre le pire
Les opérations humanitaires continuaient laborieusement de se déployer dans un pays en ruines et sous tension, alors qu'un nouveau séisme de magnitude 6 a secoué à l'aurore. Au moins trois bâtiments se sont effondrés à Port-au-Prince et à Carrefour, une banlieue proche, mais sans faire de victimes. L'Hôpital général de Port-au-Prince a été évacué, de crainte qu'il s'écroule. Cette nouvelle réplique, la plus forte depuis le séisme de magnitude 7 qui a dévasté Haïti, a ajouté au traumatisme des habitants, déjà bouleversés après avoir enterré au moins 75 000 de leurs compatriotes. «Tous les Haïtiens vont finir par mourir parce qu'ils sont maudits», a lancé une mère de famille à bout de nerfs.
Les chances de retrouver des survivants semblent infimes, mais les sauveteurs poursuivent leurs efforts. «La secousse [d'hier] peut avoir fait s'affaisser des structures, mais elle peut aussi avoir libéré des personnes piégées entre deux dalles de béton», a fait remarquer Gilles Perroux, sapeur-pompier français. «Au 8e jour, quelqu'un de vivant? On y croit, sinon on ne serait pas là. Tant qu'on reste dans le pays, on garde espoir, a ajouté Fabrice Montagne. Les chances sont minces. Mais si les victimes ne sont pas trop blessées, qu'elles se trouvent dans une poche de vie, qu'elles ont de quoi boire et manger, c'est possible», a-t-il fait remarquer. Jusqu'à présent, les équipes de secours venues des quatre coins de la planète ont retrouvé 121 personnes sous les décombres, selon l'ONU.
Enfin, à quelques jours de la conférence des «pays amis» d'Haïti qui se tiendra à Montréal, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a quant à lui appelé la communauté internationale à lancer «une sorte de plan Marshall» pour Haïti, dont la reconstruction pourrait prendre au moins 25 ans, selon l'ambassadeur haïtien en Espagne. À ce jour, des promesses de dons de plus de 1,2 milliard de dollars provenant d'États ont déjà été recueillies par l'ONU. Mais dans un bidonville de Port-au-Prince, les habitants attendent toujours un premier camion d'aide. «On ne sait pas si l'aide est arrivée dans d'autres endroits de la ville. Mais ce qui est certain, c'est que nous n'avons rien vu», a dit un père de quatre enfants, Placide Jemais.
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Avec Reuters et l'AFP