La loi de la jungle
Les centaines d'otages qui croupissent toujours dans le maquis colombien, depuis de nombreuses années pour la plupart, sont devenus les symboles du long et violent conflit social qui a fait des millions de déplacés et des dizaines de milliers de morts, et dont on ne voit toujours pas la fin.
De nombreuses personnalités politiques, dont le président français Nicolas Sarkozy, ont multiplié ces derniers temps les déclarations et les offres de médiation visant à faire libérer Ingrid Betancourt et les autres captifs des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).«Les otages représentent aujourd'hui un problème pour la guérilla, qui a longtemps utilisé les séquestrations pour obtenir de l'argent ou pour monnayer la libération de ses membres emprisonnés», a fait remarquer Libardo Valderrama Centeno, directeur adjoint de la Corporation Développement et Paix de la région de Magdalena Medio, lors d'un déjeuner-causerie jeudi.
Depuis son accession au pouvoir en août 2002, l'actuel président colombien, Alvaro Uribe, a adopté à l'égard de la guérilla gauchiste une stratégie très dure qui exclut tout dialogue et, a fortiori, toute concession. «La guérilla est coincée [avec ses otages]. Elle ne semble pas se rendre compte à quel point des images comme la récente photo d'Ingrid Betancourt lui font du tort», note M. Valderrama Centeno, qui voit d'un oeil favorable les interventions internationales en faveur de la libération des otages.
En réponse à une question, ce médecin et prêtre jésuite a affirmé que le Canada, qui souhaite conclure un accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou, devrait essayer de convaincre Bogotá d'accepter une des demandes de la guérilla, soit celle qui consiste à démilitariser un territoire en vue de procéder à un échange global d'otages et des prisonniers.
Depuis le début de l'année, les FARC ont libéré sans contrepartie, à deux reprises, un petit nombre d'otages, grâce entre autres à des interventions du président vénézuélien, Hugo Chávez.
Si le président Uribe reste prisonnier de son discours sécuritaire, la guérilla a de son côté «perdu le sens de sa lutte», juge Libardo Valderrama Centeno, précisant: «Les guerriers ont supplanté les idéologues.» Par conséquent, les FARC n'ont aucun projet social ou politique à proposer et elles sont devenues un acteur parmi d'autres dans la lutte féroce qu'on se livre pour la possession de la terre, des ressources naturelles et des revenus de la coca.
Il a décrit un pays où les disparités entre les classes sociales ainsi qu'entre la ville et la campagne sont criantes, et dont la majorité de la population est prise en tenailles entre un pouvoir qui s'appuie sur l'armée et les groupes paramilitaires d'extrême droite et la guérilla d'extrême gauche.
Il a dénoncé, comme nombre de ses concitoyens, l'impunité dans laquelle opèrent les groupes d'extrême droite. Selon certaines sources, dont la Commission colombienne de juristes, ces derniers ont tué au moins deux fois plus de personnes innocentes que les guérilleros se réclamant du marxisme.
Dans ce contexte «où règne la loi du plus fort», les civils sont utilisés comme boucliers par tous les belligérants, tout en souffrant d'un blocus alimentaire, de l'obligation de cultiver la coca, du recrutement d'enfants soldats, de l'exploitation sexuelle et des mines antipersonnel.
«Durant les deux dernières décennies, plus de 3,5 millions de personnes ont été déplacées et 70 000 personnes sont mortes en raison de ce conflit», a rappelé l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), qui recevait M. Valderrama Centeno.