Augusto Pinochet au plus mal

Santiago — Augusto Pinochet est entre la vie et la mort. L'ancien dictateur, qui a fêté il y a moins d'une semaine ses 91 ans, a reçu hier l'extrême-onction. Dans la nuit de samedi, il a fait un infarctus du myocarde, qui a généré un oedème pulmonaire. Immédiatement hospitalisé à l'hôpital militaire de Santiago, il a subi un premier pontage. On lui a installé un bypass dans le coeur pour permettre au sang de mieux circuler, puis un second dans l'après-midi.
L'état du patient est «stable» tout en restant «grave», indique le deuxième bulletin médical officiel publié en soirée. Cette intervention «l'a pratiquement sauvé de la mort», a déclaré Marco Antonio, le plus jeune fils de Pinochet. «Nous sommes maintenant entre les mains de Dieu et des médecins. Mon père est dans un très mauvais état», a-t-il dit.Toutefois, ses partisans ne perdaient pas espoir. «Il est hors de danger», a affirmé le général à la retraite Luis Cortes Villa, directeur de la fondation Augusto-Pinochet, une association regroupant les sympathisants de l'ancien dictateur.
Si l'ex-général avait déjà reçu l'extrême-onction par le passé, sa situation de santé est cette fois réellement alarmante. Ses malaises cardiaques, ces dernières années, avaient été mis en doute. Tous se sont produits au moment de décisions de justice importantes. Les avocats d'Augusto Pinochet le disaient dément et donc incapable d'affronter un procès. Les derniers examens médicaux avaient prouvé sa parfaite santé mentale. Depuis, il n'avait plus été question d'hospitalisation d'urgence.
Les familles de disparus et d'exécutés sous la dictature ne se réjouissent pas: la mort de l'ancien dictateur, qui cumule plus de 300 plaintes à son encontre, serait pour elles une mauvaise nouvelle. C'est justement ces derniers mois que l'étau de la justice se refermait sur l'ex-général. Il est mis en examen dans quatre affaires de violations des droits de l'homme, des violations commises sous la dictature, entre 1973 et 1990, et une affaire de fraude fiscale et de corruption.
C'est assigné à résidence qu'Augusto Pinochet a eu sa crise cardiaque. Il y a une semaine, le juge Victor Montiglio l'avait mis en examen pour la détention forcée et l'homicide de deux anciens gardes du corps de Salvador Allende. Leur assassinat avait fait partie de la Caravane de la Mort, ce commando militaire qui a sillonné le Chili dans les semaines qui ont suivi le coup d'État du 11 septembre 1973 pour liquider les opposants.
Or, si Augusto Pinochet meurt, toutes les poursuites lancées contre lui depuis 1998 aboutissent au non-lieu. L'ancien dictateur terminerait alors ses jours dans son lit, sans jamais avoir été condamné.
À qui la faute? «À la lenteur de la justice chilienne et à la stratégie des avocats de la défense de Pinochet qui ont toujours chercher à faire piétiner les procès», explique Nibaldo Mosciatti, journaliste à la radio Bio-Bio, la radio qui a fait connaître, grâce à un auditeur, l'infarctus de l'ex-général. «Les gouvernements démocratiques n'ont jamais voulu que Pinochet soit jugé. Peut-être avaient-ils peur de lui lorsqu'il avait encore du pouvoir. Peut-être la démocratie a-t-elle été conditionnée par un accord passé promettant que jamais il ne serait condamné.»
Les procès lancés contre Augusto Pinochet sont tous venus de l'étranger. «C'est avec son arrestation à Londres en 1998 qu'il a commencé à être inquiété par la justice. Car la même année, lorsque l'avocat chilien des droits de l'homme Eduardo Contreras et la secrétaire général du parti communiste Gladys Marin ont déposé plainte contre lui, tous se sont moqué d'eux.» En 2004, c'est un rapport du Sénat américain qui met le doigt sur la richesse injustifiée des Pinochet, aujourd'hui évaluée à plus de 27 millions de dollars.
Les familles de disparus réclament que l'on n'organise pas de funérailles d'État pour l'ex-général, qui fut aussi président (autoproclamé). Lors de sa campagne électorale, Michelle Bachelet s'y était engagée. La présidente et son gouvernement sont restés d'ailleurs jusqu'ici plutôt silencieux. La gauche ne s'est pratiquement pas exprimée, tandis que la droite, attachée à l'ex-dictateur dans le passé, s'est faite plutôt discrète. Nibaldo Mosciatti explique: «Augusto Pinochet est déjà mort sur la scène politique.»
En 2003, à l'occasion des 30 ans de la dictature, les images d'archives critiques à l'égard de l'ancien dictateur apparaissent pour la première fois sur les écrans des chaînes de télévision chiliennes. Des images qu'elles avaient toujours censurées. La plupart de ceux qui n'avaient pas voulu croire aux crimes commis sous le régime militaire se rendent à l'évidence. Un an plus tard, le scandale de la richesse du clan Pinochet éclate. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. L'année passée, le rapport Valech démontre que les tortures commises sous la dictature ont été massives et systématiques. Les sympathisants de l'ex-commandant en chef de l'armée de terre deviennent alors une poignée.
C'est cette centaine de nostalgiques qui se groupaient il y a moins d'une semaine pour fêter l'anniversaire de «leur président». Et souriant, Augusto Pinochet les remerciait en sortant de sa riche demeure de la Dehesa, un quartier chic de Santiago. C'est eux qui étaient réunis hier devant l'hôpital militaire de la capitale. Il ne reste plus qu'eux.
Libération avec Reuters