Un des principaux suspects du génocide au Rwanda est mort depuis 20 ans

Un des principaux fugitifs poursuivis par la justice internationale pour le génocide au Rwanda, Augustin Bizimana, est décédé il y a près de 20 ans, a annoncé vendredi un tribunal de l’ONU, moins d’une semaine après l’arrestation d’un autre suspect majeur.
Ancien ministre de la Défense, Augustin Bizimana était accusé d’avoir été l’un des hauts commanditaires du génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis au Rwanda, qui a coûté la vie à 800 000 personnes.
Son décès, dont la date est estimée à août 2000, « a pu être confirmé à l’issue de l’identification formelle des restes de son corps retrouvés » dans un cimetière à Pointe-Noire, au Congo, a fait savoir le Mécanisme des tribunaux pénaux internationaux (MTPI).
Une série d’analyses génétiques effectuées ces derniers mois « ont permis d’exclure la possibilité que ces restes soient ceux d’une autre personne », a déclaré le MTPI.
Cette structure basée à La Haye est chargée notamment d’achever les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé par le Conseil de sécurité de l’ONU en novembre 1994, quelques mois après le génocide.
« D’autres éléments de preuve ayant trait aux circonstances du décès d’Augustin Bizimana ont également été vérifiés », a indiqué le Mécanisme, sans préciser les causes de sa mort.
Le ministre de la Communication du Congo-Brazzaville, Thierry Moungala, s’est dit « perplexe » quant à la nouvelle, évoquant une « affaire mystérieuse ».
Il affirme ne pas savoir si le MTPI avait demandé aux autorités congolaises de procéder à des analyses sur le corps.
Un homme à l’aise avec les crimes
Augustin Bizimana avait été inculpé en 1998 par le TPIR de 13 chefs d’accusation, dont génocide, extermination, meurtre et autres actes inhumains.
Il devait notamment répondre du meurtre en 1994 de la première ministre hutue modérée Agathe Uwilingiyimana, ainsi que de dix Casques bleus belges et de plusieurs civils tutsis.
L’acte d’accusation du TPIR dépeint un homme parfaitement à l’aise avec les crimes commis autour de lui.
Bizimana se déplaçait souvent dans le pays et pouvait voir les corps s’amonceler aux barrages tenus par les forces gouvernementales. « En ces occasions, il n’a jamais soulevé la moindre objection à ce qu’il voyait », note l’acte d’accusation.
Le document évoque un épisode lors duquel Bizimana n’a rien fait pour empêcher un membre de son escorte d’exécuter devant lui deux Tutsis, et un autre où il n’est pas intervenu après avoir appris que des soldats enlevaient et violaient des étudiantes tutsies dans une école d’infirmières.
« En tant que ministre de la Défense, il contrôlait et donnait ses instructions aux [Forces armées rwandaises] », ajoute cet acte d’accusation. « Il savait et avait toutes les raisons de savoir que ses subordonnés prenaient part à des crimes ». Non seulement n’a-t-il rien fait pour arrêter les massacres, mais il a aussi essayé de les cacher, donnant une interview en mai dans laquelle « il affirmait à tort que les tueries avaient cessé ».
Après le génocide, pourchassé par le Front patriotique rwandais qui venait de saisir le pouvoir, il a fui le pays, trouvant d’abord refuge en République démocratique du Congo, alors appelée Zaïre, avant de rejoindre le Congo-Brazzaville.
Bizimana est né en 1954 à Gituza, dans le nord du Rwanda. On sait peu de choses sur ses années de jeunesse, mais à l’université il s’est affirmé comme un Hutu radical, dans un pays déchiré par les tensions ethniques.
« Depuis l’école secondaire, c’était quelqu’un qui aimait s’affirmer, se positionner comme leader », a indiqué à l’AFP un de ses anciens collègues à l’université, aujourd’hui réfugié en Europe.
« À l’université, il s’affichait, avec un peu de zèle, comme membre du MRND [Mouvement révolutionnaire national pour le développement], le parti unique. Pour sûr, c’était un partisan de la ligne dure, un inconditionnel du régime Habyarimana », a-t-il ajouté.
L’annonce du MTPI intervient moins d’une semaine après l’arrestation en France le 16 mai d’un autre des principaux accusés, Félicien Kabuga, financier présumé du génocide rwandais, qui était en cavale depuis 25 ans.
Il présidait la tristement célèbre Radio télévision libre des Mille collines (RTLM), qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsis et le Fonds de défense nationale (FDN) qui collectait de l’argent destiné à financer la logistique et les armes des miliciens hutus Interahamwe, selon l’acte d’accusation du TPIR.
Déception des rescapés
La mort de M. Bizimana constitue une « grande déception » pour les rescapés du génocide, a réagi vendredi Alain Gauthier, le responsable d’une association de victimes en France.
« Le plus grand souhait des rescapés, c’est que les tueurs soient jugés. Il n’y a que la justice qui peut leur apporter un petit peu de réconfort, et lorsqu’un responsable du génocide est jugé, leur honneur leur est rendu », a-t-il expliqué à l’AFP.
« Nous regrettons qu’il soit décédé avant de donner plus d’informations sur ce qu’il sait des crimes qu’il a commis et sur ce que d’autres comme lui ont commis », a renchéri Jean-Pierre Dusingizemungu, le président d’Ibuka, une association de soutien aux victimes.
M. Dusingizemungu a dénoncé la « faiblesse du système juridique international », affirmant qu’apprendre seulement maintenant la mort il y a près de 20 ans de l’un des fugitifs les plus recherchés « n’a pas de sens ».
« Nous soupçonnons qu’ils savaient depuis le début. Sinon, comment expliquez-vous l’étrange coïncidence qu’ils annoncent sa mort quelques jours après l’arrestation de Kabuga ? », s’est-il interrogé.
« Avec l’arrestation de Félicien Kabuga samedi dernier et la confirmation aujourd’hui du décès d’Augustin Bizimana, le Bureau du Procureur a ainsi retrouvé deux des trois principaux fugitifs mis en accusation par le TPIR », a de son côté souligné le Mécanisme.
Mercredi, le procureur du MTPI, Serge Brammertz, a demandé le transfert temporaire à La Haye de M. Kabuga, 84 ans, en raison des difficultés de déplacements engendrées par la pandémie de COVID-19.
L’accusé lui-même a fait savoir mercredi, lors de sa première comparution publique à Paris, qu’il voulait « être jugé en France ».
Le mandat d’arrêt actuel du MTPI, qui a une branche en Tanzanie, et une autre à La Haye, prévoit son transfert à Arusha (Tanzanie).
Le dernier fugitif principal recherché par le Mécanisme est Protais Mpiranya, qui commandait la garde du président Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 est considéré comme l’élément déclencheur du génocide.
Cinq autres suspects mis en accusation par le TPIR, dont les affaires ont été renvoyées devant les autorités rwandaises, sont toujours en fuite.