«Oui, nous avons perdu le contrôle de l’épidémie»

Jeudi, une famille assistait à un enterrement à Butembo.
Photo: John Wessels Agence France-Presse Jeudi, une famille assistait à un enterrement à Butembo.

En République démocratique du Congo, un centre de traitement d’Ebola a de nouveau été attaqué dans la nuit de dimanche à lundi. Depuis deux mois, l’épidémie est à son pic. Sur place, les organisations tentent de faire face au nombre croissant de personnes infectées par le virus tout en luttant contre la méfiance de la population. John Johnson est coordinateur d’urgence de Médecins sans frontières (MSF). Il explique les difficultés que rencontre l’organisation pour prendre en charge les patients.

Quelle est l’atmosphère en République démocratique du Congo après les attaques qui ont visé ce week-end un centre de traitement de la maladie à virus Ebola dans l’est du pays ?

Tout dépend d’où vous êtes. Les deux derniers mois ont été les pires depuis le début de l’épidémie. Plus de 12 zones ont été infectées. 1029 personnes sont mortes. Dans certains endroits, l’atmosphère est plus ou moins calme, dans d’autres elle est très tendue, car la communauté locale n’accepte pas la présence d’étrangers. Il est parfois difficile, voire impossible de travailler dans certaines zones. Mais nous sommes en contact avec des membres de la population sur place pour voir si nous pouvons les aider de quelque manière que ce soit. Les vrais héros, ce sont les membres du personnel soignant local qui continuent à travailler là-bas malgré l’insécurité.

La meilleure sécurité que nous pouvons avoir est de gagner la confiance des gens en les soignant

Quelles mesures ont été prises pour protéger le personnel soignant des violences physiques ?

Les attaques ont visé certains centres de traitement d’Ebola. Médecins sans frontières était présent dans deux d’entre eux. Nous avons évacué nos équipes d’un centre au Nord-Kivu en février. Toutes les semaines pratiquement, il y a des incidents qui ralentissent notre action. Il est difficile de savoir si nous pouvons nous déplacer sans risque et continuer à ouvrir le centre. Il y a beaucoup de discussions à ce sujet. On se demande si augmenter les forces de sécurité est la bonne manière de répondre à ces attaques. Je ne pense pas que ça le soit. Les problèmes que nous rencontrons sont liés au fait que la population n’accepte pas notre présence. Ces mesures seraient contre-productives. La meilleure sécurité que nous pouvons avoir est de gagner la confiance des gens en les soignant.

Comment expliquez-vous les réticences de la population à se faire vacciner ?

Beaucoup de rumeurs circulent : que le virus Ebola est un virus importé, que c’est nous qui le donnons aux gens, que nous sommes là pour faire du business et des profits, que nous volons des corps, des organes. C’est compréhensible. Cette maladie n’est pas bien connue. Il faut se mettre à leur place, ils ont vu arriver du jour au lendemain beaucoup d’étrangers. Pour gagner la confiance de la population, nous travaillons avec des groupes locaux, nous discutons avec certaines personnes qui influencent l’opinion publique : prêtres, pasteurs, chefs de village, politiques. Nous organisons des groupes de discussion. Il faut absolument réintégrer notre réponse à cette crise sanitaire à leur propre système de santé pour décentraliser et leur permettre d’être soignés aussi près de chez eux que possible. Nous savons que plus tôt ces personnes se font diagnostiquer et recevront un traitement, plus elles auront des chances de guérir. Le vaccin augmente considérablement les chances de survie, mais il faut 21 jours pour qu’il fonctionne.

Pourquoi la dose de vaccin donnée a-t-elle été divisée par deux pour les personnes qui ne sont pas directement en contact avec le virus ?

Il y a un nombre limité de vaccins disponibles pour deux raisons : le vaccin n’a pas encore été homologué par les autorités de santé (c’est un vaccin expérimental), donc il ne peut pas être produit dans de grandes quantités. De plus, c’est un vaccin long à produire que nous avons déjà administré à 110 000 personnes et il n’y en a que 300 000 disponibles.

Un nouveau vaccin produit par Janssen Pharmaceutica a été proposé. Mais il requiert deux injections afin d’être pleinement effectif. Est-il possible de distribuer deux injections par personne ?

Ça va être un gros souci logistique. Nous pensons utiliser les deux vaccins parallèlement, car ils sont en quantité limitée. C’est la seconde fois seulement que nous traitons Ebola de cette manière. Je ne suis pas pessimiste parce que je pense qu’une large campagne pro-vaccination peut vraiment être efficace. Ça a été le cas pour le choléra par exemple.

Le virus se transmet aussi par les contacts avec les cadavres. Comment faites-vous pour permettre aux familles d’enterrer leurs proches sans pour autant qu’elles tombent elles-mêmes malades ?

La Croix-Rouge fait un super travail. Elle a des équipes qui encadrent les funérailles en mettant en place des équipements de protection, etc. Mais souvent, ces pratiques ne correspondent pas aux croyances locales. Par exemple, il est très important pour les proches de toucher le cadavre avant qu’il ne soit enterré. Le problème, c’est qu’une fois morte, la personne qui a contracté le virus devient encore plus contagieuse.

David Miliband, président de l’International Rescue Committee, a affirmé mercredi au Guardian que l’épidémie était hors de contrôle. Êtes-vous d’accord ?

Oui. Nous avons perdu le contrôle de cette épidémie.

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