Bouteflika se désiste des élections, mais reste en poste

Abdelaziz Bouteflika, président algérien depuis 1999, ne se représentera pas aux prochaines élections présidentielles. Et le scrutin, prévu pour le 18 avril, sera reporté à une date ultérieure déterminée par une conférence nationale indépendante. D’ici là, l’octogénaire restera aux commandes d’un État qui ne veut plus de lui.
« Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi », pouvait-on lire dans une déclaration publiée lundi en début de soirée par l’agence de presse nationale algérienne. M. Bouteflika avait pourtant annoncé le 10 février qu’il allait briguer le poste de président pour une cinquième fois. Depuis le 22 février, les manifestations ont monté en crescendo dans la capitale et ailleurs au pays, avec des rassemblements totalisant des centaines de milliers de personnes vendredi dernier.
L’annonce de lundi, accompagnée d’un remaniement ministériel, a aussitôt été saluée par un concert de klaxons dans le centre d’Alger. « Pacifiquement, on a fait tomber la marionnette ! » chantaient des Algérois lundi soir. Cependant, après l’euphorie initiale, plusieurs opposants ont dénoncé une manoeuvre du président pour rester au pouvoir sans l’aval des urnes. Sur les réseaux sociaux s’est propagé lundi un message disant « Non à l’arnaque du peuple, rendez-vous le 15 mars » pour un quatrième vendredi consécutif de manifestations.
Pour Najib Lairini, chargé de cours au Département de science politique de l’Université de Montréal, les développements de lundi sont « loin d’être un recul pour le pouvoir ». « Le mandat se prolonge. Le régime reste. C’est un marché de dupes, et ça m’étonnerait que ça passe auprès du peuple », croit-il.
« Le combat doit continuer. Quand un peuple se soulève pacifiquement — et je veux souligner à deux traits le mot “pacifiquement” —, c’est du gâchis s’il s’arrête tout de suite », a quant à lui confié au Devoir Nasser Bensefia, l’un des organisateurs des rassemblements hebdomadaires de la communauté algérienne de Montréal. Selon lui, les manifestants en Algérie ne se contenteront pas du désistement de M. Bouteflika, mais exigeront un assainissement général du système politique. « Je peux vous dire que nous, à Montréal, allons continuer à manifester. »
« Inconstitutionnel »
La lettre de M. Bouteflika stipule qu’une conférence nationale sera chargée de réformer le système politique et de rédiger une nouvelle constitution d’ici la fin de l’année, qui sera soumise à la population par la voie d’un référendum. L’élection présidentielle (« à laquelle je ne serai en aucun cas candidat », assure le président) n’aura pas lieu le 18 avril comme prévu, mais sera plutôt tenue au moment jugé opportun par la conférence nationale. Implicitement, on comprend que M. Bouteflika assurera l’intérim, restant en poste au-delà de la fin de son mandat, le 28 avril.
Or, aucune loi n’a été invoquée pour prolonger le mandat présidentiel. « La constitution prévoit des prolongations seulement dans des situations extrêmement graves, comme une guerre, soulève Najib Lairini. Le maintien au pouvoir de Bouteflika annoncé aujourd’hui est donc inconstitutionnel. »
En fait, le scénario proposé lundi est pratiquement identique à celui du dimanche 3 mars, quand M. Bouteflika s’était engagé à ne pas rester à la tête de l’État jusqu’à la fin de son mandat dans l’éventualité d’une réélection en avril, et de laisser une conférence nationale indépendante organiser une nouvelle élection où il ne serait pas candidat.
Finalement, l’annonce de lundi « est un exercice pour que la rue se calme », croit Francesco Cavatorta, professeur de science politique à l’Université Laval. Certes, les manifestations vont continuer, pense-t-il, mais combien de gens y participeront-ils après cette victoire en demi-teinte ?
Affaire de corruption
Dans l’éventualité où le peuple mette suffisamment de pression sur le pouvoir pour que la conférence nationale soit véritablement indépendante, comment s’assurer qu’elle pilote des réformes amenant un réel changement d’air ?
Pour Nasser Bensefia, organisateur montréalais, la question de la juste représentativité de la société algérienne est cruciale. « La conférence nationale devra refléter la diversité ethnique du pays, estime-t-il. En Algérie, il y a des Arabes et les Berbères, qui réunissent chacun plusieurs groupes ethniques. L’État les a toujours divisés pour mieux régner. La conférence devra aussi être représentative de la diversité religieuse, et inclure les femmes. En Algérie actuellement, on est très loin de la parité dans les institutions et les ministères. »
Que peuvent faire le Québec et le Canada pour favoriser l’installation d’une démocratie robuste en Algérie ? Pour des raisons historiques évidentes, les Algériens sont « allergiques à l’ingérence étrangère », explique M. Bensefia. « Mais la corruption, c’est un tango qui se joue à deux : un corrupteur et un corrompu. On parle beaucoup de SNC-Lavalin ces temps-ci… Cette entreprise réalise beaucoup de contrats en Algérie. Pour nous, ce qui est important, c’est que le Canada continue à lutter contre la corruption. »